dimanche 29 janvier 2012

Voiliers à propulsion électrique: vraiment écologique?





Les moteurs électriques sont « tendance », outre qu’ils sont « branchés », et les bateaux de plaisance n’y échappent pas.

Les journalistes des revues nautiques font de leur mieux pour informer leurs lecteurs des nouveautés, mais tombent parfois dans les chausse-trappes dont les dossiers de presse remis par les fabricants sont remplis. Nous allons essayer de les aider par quelques rappels à la physique de base.

Un  moteur électrique ne pollue pas ?

Pour avoir un sens, les émissions de CO2 doivent être considérées d’un bout à l’autre de la chaîne énergétique, et sans oublier leur composante « investissements ».

En France métropolitaine, la production électrique est à 95% exempte de CO2. Ceci est une moyenne sur l’année. En fait, le recours aux énergies fossiles a lieu principalement en hiver, saison où l’on ne navigue que très peu. On peut donc affirmer que l’utilisation sur un bateau d’un moteur électrique alimenté par ses batteries chargées à partir du réseau ERDF n’entraîne aucune émission.

Mais il en va très différemment dans des pays ou l’électricité est peu ou pas nucléaire ou hydraulique. Dans le cas fréquent (Italie, Irlande, Maghreb, mais aussi Corse) où la quasi-totalité de la production électrique est d’origine fossile, l’émission relative à la production électrique doit être divisée par les rendements cumulés jusqu’à l’utilisation, typiquement :
  • production électrique                 35%
  • réseau   de distribution               93%
  • charge / décharge batterie          75%
  • moteur électrique bateau            90%
soit en tout 35% x 93% x 75% x 90% = 22% à comparer au rendement d’un moteur diesel marin de même puissance, qui serait de l’ordre de 30%. Les émissions de CO2 sont ainsi aggravées d’environ 1/3 si le combustible primaire est un hydrocarbure, ou doublées si c’est du charbon, par rapport à  un diesel à bord.

Ajoutons que la batterie est un élément très cher, donc probablement très émetteur de  CO2. En première approche, utilisons le ratio simpliste, mais pas absurde, selon lequel les produits industriels non pétroliers émettent 1 tonne de CO2 par tranche de coût de 1000 €HT au niveau utilisateur.  Pour nos batteries évaluées à 30 000 € TTC, l’ordre de grandeur des émissions correspondantes pourrait être de 30 000 € /1,196 / 1000 €/T = 25 tonnes de CO2 qui auraient pu être émis par la combustion de 10000 litres de gazole avec lesquels un bateau à moteur diesel consommant 1,7 litre/heure aurait parcouru 30 000 miles nautiques en 6 000 heures. En d’autres termes, il faudra 1 200 recharges complètes avant de commencer à améliorer le bilan CO2… dans le cas improbable où les batteries n’auraient pas été changées avant !

Il faut ajouter que les batteries, quelques soit leur technologie, sont tout sauf vertes, et ici il y en a (8 x 2 + 4) x 15kg = 300 kg. Pas vert du tout !

Un moteur électrique « équivalent » à un moteur thermique ?

Les fabricants de bateaux électriques, ou de moteurs électriques pour bateaux utilisent presque systématiquement la notion de « puissance équivalente ». Celle-ci n’existe dans aucun livre de physique ou de techniques de l’ingénieur. La puissance mécanique d’un moteur, en watts, est le produit de sa vitesse angulaire (en rad/s) par son couple (en Nm). Tout le reste n’est que littérature !

Pour entraîner une hélice à une vitesse de rotation donnée, il faut que son arbre lui apporte cette vitesse en même temps que le couple correspondant, qui dépend de ses caractéristiques (diamètre, pas, nombre de pales, etc.). L’hélice « ne sait pas » si l’arbre sur lequel elle est montée est lui-même entraîné par un moteur thermique ou électrique, ou même par des pédales, et ses performances seront exactement les mêmes si on change de moteur en conservant couple et vitesse.

La vérité est que le moteur électrique, excellent et illimité en lui-même, est handicapé par la batterie  dont les capacités sont trop faibles, ridiculement faibles si on les compare au même poids de gazole, même affecté d’un coefficient de 30% pour tenir compte de rendement du moteur diesel. On est donc contraint à limiter la puissance du moteur électrique pour éviter de vider trop vite la batterie.

Afin de permettre néanmoins la propulsion de coques lourdes, les fabricants munissent les moteurs électriques d’hélices à pas court, capables de fournir une force de propulsion équivalente à moindre puissance, mais aussi… à moindre vitesse !

C’est pourquoi ils communiquent souvent en termes de poussée, sans spécifier la vitesse de synchronisme, et jamais en termes de puissance pour laquelle les termes de la comparaison seraient trop défavorables, et donc peu vendeurs…

Ils ajoutent souvent un argument spécieux sur le couple des moteurs électriques, qui serait selon eux plus élevé à bas régime. Qu’en est-il ?

Regardons d’abord les caractéristiques de puissance mécanique et de couple d’un moteur Diesel typique de voilier, le Yanmar 3YM30 :



On constate sur le graphe du bas que le couple est à sa valeur maximum de 70 mN jusqu’à 2500 t/min, puis décroît jusqu’à 60% de cette valeur, soit 42 Nm à sa vitesse maximum.

 Le graphe du haut, qui résulte du précédent puisque puissance = couple x vitesse, montre une puissance proportionnelle à la vitesse dans la zone de couple constant jusqu’à 2500 t/min puis croissant moins vite jusqu’à atteindre à partir de 3250 t/min un palier correspondant à la zone de couple fortement décroissante.

Tous les moteurs thermiques sans turbocompresseur ont des courbes de couple vs. vitesse de ce type, à peu de choses près. Notons que la zone de couple maximum est aussi celle du meilleur rendement du moteur, la vitesse de croisière s'y trouve bien en termes de vitesse, mais avec un couple un peu bas.

Les moteurs électriques de propulsion

Le couple d’un moteur électrique dépend énormément de sa technologie et de son mode d’alimentation. Par surcroît, sa puissance doit se définir par rapport à un « facteur de marche ». On considère habituellement, et en particulier ci-dessous, la puissance mécanique qu’il est capable de fournir en continu, c'est-à-dire avec un taux d’utilisation de 100%. Il faut retenir qu’à froid, il est capable de temporairement fournir plus sans détérioration s’il a été conçu à cet effet, mais ceci a peu d’intérêt sur un bateau, contrairement, par exemple, à une automobile.

Les moteurs les plus usuels en propulsion nautique sont à courant continu et aimants permanents, bien adaptés au fonctionnement sur batteries, dans deux variantes très différentes :
  •  Les moteurs traditionnels à collecteur : le stator est un inducteur à aimants permanents, l’induit (rotor) tourne et est alimenté par deux balais de carbone frottant sur un collecteur à lames de cuivre qui assure la commutation des sections.
  • Les moteurs « brushless » (sans balais), exactement identiques au plan électromagnétique, mais technologiquement très différents : le rotor est un inducteur à aimants permanents, le stator est l’induit dont les sections sont commutées électroniquement en fonction de l’angle du rotor détecté par un capteur à effet Hall. Ils ont l’avantage d’être plus durables et plus silencieux, grâce à l’absence de collecteur, et plus fiables, car les bobinages ne tournent pas.
Les moteurs « brushless » sont très proches des moteurs synchrones qui n’en différent que par l’absence de commutation électronique selon l’angle du rotor. Un alternateur est identique à un moteur synchrone.
Intrinsèquement, la courbe de couple des moteurs à courant continu (des deux familles) sont « plates », c'est-à-dire indépendantes de la vitesse. Selon leur mode de ventilation, forcée ou naturelle, le couple à basse vitesse pourra être identique ou un peu plus bas, mais jamais plus haut.

Résumons-nous : Quand la vitesse décroît depuis son maximum, le couple
  • ...d’un diesel croît jusqu’à un plateau maximum en dessous des 2/3 du régime maximum.
  • ...d’un moteur électrique à courant continu reste constant ou décroît un peu.
On voit mal ce qui autorise les fabricants de moteurs électriques de bateaux à alléguer un couple plus élevé à bas régime !

Il reste qu’un moteur électrique, contrairement à un thermique, peut être utilisé à des vitesses très basses, 20% du maximum ou moins, mais à ces niveaux, les couples et forces propulsives sont extrêmement bas, pratiquement sans intérêt.

Mais il y a pire. Revenons au premier graphe, repris ci-dessous.
  • La courbe rouge du haut est la puissance maximum que le moteur est capable de fournir à une vitesse donnée.
  • La courbe bleue du bas est la puissance réellement nécessaire pour entraîner l’hélice à travers l’inverseur.
  • A une vitesse (ou abscisse) donnée, le rapport des couples est égal au rapport des puissances.


On constate  que le couple réellement nécessaire n’est égal  au couple maximum du moteur qu’à la vitesse maximum. Dès que la vitesse décroît,  le couple nécessaire décroît beaucoup plus vite, et n’est plus que le ¼ du couple maximum à bas régime. Ceci signifie que tous les moteurs, thermiques ou électriques, ont un couple fortement surabondant à basse vitesse.


L’avantage lié au « couple plus élevé du moteur électrique à bas régime » est non seulement faux, mais en plus parfaitement inutile.

Un exemple concret : Voiles Magazine n° 194 de février 2012

Ce magazine publie un excellent dossier sur la question, avec de bonnes conclusions, notamment son tableau « En un coup d’œil… » (page 58), des encadrés clairs et simples sur les batteries (page 59), les architectures (pages 60-61), les composant (pages 62-63), et nombre de remarques et de réserves fort pertinentes. C’est sans doute le meilleur dossier que j’aie lu sur le sujet. Mais il n’a pas totalement échappé à l’enfumage par les fournisseurs de matériels électriques.

L’auteur de l’article écrit : « Le moteur électrique est un Elco 4000, soit au moins l’équivalent d’un 39cv thermique, et plutôt plus puissant à bas régime. Le générateur est un Polar DC Marine 14 KW, avec, pour la partie thermique, un D1-30 de Volvo Penta. Quant au parc de batteries, il est constitué de 16 batteries au lithium de 138 AH chacune. […] deux racks de 8 batteries lithium Valance […] 12 volts montées en parallèle…»

Les notices en ligne Polar DC Marine et Volvo Penta relatives au groupe électrogène sont cohérentes, avec une puissance mécanique de 14 KW, et une consommation de 290 gr de gazole par KWh.

La fiche en ligne du moteur Elco 4000 donne sa tension (108 volts) mais aucune indication, ni sur sa puissance électrique ou son intensité consommée, ni sur sa puissance mécanique ou son couple ! Bien sûr, il y a quand même cette fameuse puissance équivalente à 40 cv ou 20 kw. Curieux :  40 cv = 30kw, mais pas ici…

On peut quand même évaluer cette mystérieuse puissance. Le parc est constitué de 16 batteries  de 138 AH chacune. Rectifions leur montage en série (on le voit sur la photo) et non en « parallèle ». Le parc assure, en valeurs nominales :
  • Une tension de 13,5 x 8 = 108 volts, convenant au moteur
  • Une capacité utilisable de 138 AH x 2  x 90% = 248 AH
  • Une énergie utilisable de 108 v x 248 AH = 27 KWH = 96 MJ
Tout cela est parfaitement cohérent.
A titre indicatif, l’énergie utilisable du parc de batteries ci-dessus, soit 96MJ, se compare à celle du gazole (37 MJ/litre)
  • 2,6 litres avant rendement des moteurs
  • 7,7 litres après rendement des moteurs (respectivement 90% et 30%)
Notons au passage que la recharge de ce parc par un chargeur de quai n'est pas si évidente: la plupart des prises de ponton sont protégées par un disjoncteur 10 A, parfois moins.
  • La recharge du parc, rendement inclus, nécessite environ 27 KWH / 80% = 34 KWH
  • Pour ne pas excéder une puissance apparente de 230 V x 10 A = 2,3 KVA, le chargeur, selon sa technologie et le facteur de forme du courant appelé, ne pourra pas fournir plus de 2,3 x 80% = 1,8 KW environ.
  • La recharge prendra 20 heures, soit 10 fois le temps d'utilisation en mer à 5,8 nds ! (voir ci-dessous)
Dans la pratique, il faudra prévoir un emplacement "yacht", avec prise électrique de grande puissance, de préférence triphasée, et les frais de port associés... là où çà existe!

Le magazine annonce ensuite : « 812 miles. C’est la distance franchissable avec un plein de gasoil, soit 190 litre ». Il précise plus loin : « on atteint un régime de croisière soutenu (1200 t/min pour 5,8 nœuds » et au maximum : « On croise alors à 6,7 nœuds… ».

Bigre ! Mais en physique, il n’y a jamais de miracle.
  • Notons d’abord que le magazine ne dit pas si cette autonomie est un résultat d’essai ou d’un calcul. Compte tenu de la semaine  nécessaire pour un essai, il s’agit probablement d’un calcul.
  • Il ne précise pas non plus comment est utilisée la capacité de charge, continue ou intermittente. En continu, le moteur Volvo n’est pas à son optimum de rendement. En intermittent, il peut y être, mais le rendement de charge / décharge des batteries pénalise la chaîne.
  • Il ne dit pas à quelle vitesse cette autonomie est atteinte, alors qu’il s’agit là d’un point critique.
Explorons ce sujet : Le Hunter E36 a une coque moderne, à flottaison longue, de déplacement moyen. Aux vitesses envisagées, il navigue en immersion pure : pas de planning. Il existe dans les outils de l’ingénieur une formule (Propeller Handbok, Dave Guerr, page 10) de prédiction de la puissance à l’arbre d’hélice en fonction de :
  • Deux paramètres : longueur de flottaison et déplacement
  • Une variable : la vitesse du bateau
Elle est évidemment valide en eau plate, sans vent, évidemment quel que soit le type du moteur.  Son application au Hunter E36 donne le résultat suivant :

On observe 
  • la parfaite cohérence du résultat, notamment en vérifiant le maximum.
  • A la vitesse de croisière de 5,8nds, la puissance nécessaire est de 11,2kw.
  • A la vitesse maximum de 6,7nds, elle monte à 17,2kw.
  • A 4,0nds, elle se réduit à 3,7kw.
Les conclusions sont intéressantes pour le mode électrique :
  • La puissance mécanique du moteur Elco 4000 ne dépasse guère 17kw en mode « turbo » ou 11kw en mode croisière. On est bien loin des 39 cv (soit 29kw) annoncés, et en-dessous d’un moteur thermique courant… mais on est homogène avec le chargeur dont les 14 kw sont bien adaptés.
  • A 4 nœuds les 3,7 kw mécaniques, soit un peu plus de 4 kw électriques consommés, soit encore environ 40 A tirés sur la batterie donnent une autonomie de l’ordre de 6 heures ou 25 miles (par vent nul et mer plate, rappelons le), ce qui est remarquable pour une propulsion électrique, mais reste faible pour l’utilisateur.
  • Mais cette autonomie électrique décroît très vite avec la vitesse :
    • 2 h 15 min ou 13 miles à 5,8 nds
    • et 1h 25min ou 10 miles à 6,7nds
L’autonomie annoncée en mode thermique mérite un examen plus approfondi.

Dans les meilleures conditions, selon les données des constructeurs, le diesel du groupe électrogène consomme 0,34 litre de gazole par Kwh mécanique. La transmission d’énergie à l’hélice se fait par voie électrique via un alternateur et un moteur ayant chacun un rendement que nous estimons à 90%.
  • La consommation de gazole par KWh à l’hélice est donc 0,34/(0,9)²= 0,42 litre.
  • Le réservoir de 190 l contient donc 190 / 0,42 = 450  kwh, pour parcourir 812 miles.
  • Il faut donc consommer moins de 450 /812 = 0,56 KWh/MN.
  • La vitesse de 3 nœuds, qui requiert de 1,5K kwh, soit 1,5 / 3 = 0,5KW par mile répond à la question. Il faudra plus de 11 jours pour arriver à destination. Bien sûr, ce n’est pas sérieux.
L’autonomie « gazole » du Hunter E36 à la vitesse raisonnable de 5 nœuds,  soit 7,1kw, soit encore 1,7 litre à l’heure, n’excède pas 190/1,7= 112 heures ou 560 miles, ce qui n’est déjà pas mal.

Conclusion

Le bilan de cette configuration diesel électrique hybride du Hunter 36E, comparée à un diesel classique un peu plus puissant, est le suivant :
  • Emissions de CO2 : au mieux nul par recharge à partir du réseau en France, et négatif dans tous les autres cas: hors de de France et recharge par le groupe électrogène.
  • Ecologique hors CO2 : les 300 kg de batterie ont un impact évidemment négatif.
  • Puissance : on est un peu en dessous du standard.
  • Poids : on additionne deux moteurs électriques et un parc de batteries pour environ ½ tonne.
  • Autonomie thermique: la chaîne hybride dont le rendement n’est pas de 100%, pénalise un peu la performance.
  • Autonomie électrique : relativement bonne, mais très basse dans la pratique.
  • Bruit : Le silence est un avantage indéniable de la propulsion électrique, mais sur batteries seulement.
  • Frein : La présence d’un frein (moteur en marche arrière)  instantanément disponible en navigation à la voile peut être en petit avantage en eaux encombrées.
Il n’est pas certain que ce bilan justifie un supplément de l’ordre de 40 000 €… En tout cas, ce n’est pas l’écologie qui le justifiera !

La recherche d’une moindre émission de CO2 sur les voiliers serait beaucoup moins chère et beaucoup plus efficace en suivant les pistes suivantes :
  • Utilisation de diesel à injection électronique type « common rail », qui nécessite de l’électricité et un gazole de bonne qualité, donc moins rustique, mais quand même envisageable sur un voilier.
  • « Downsizing » (réduction de cylindrée) des moteurs pour ramener le point de fonctionnement dans   la zone optimum du plan « couple vs. vitesse ».
  • Utilisation d'un inverseur (à créer) ayant 2 rapports en marche avant, dont un « surmultiplié », en fait moins démultipliée, pour la même raison que ci-dessus, pour améliorer le rendement en vitesse de croisière à puissance réduite (plus de couple et moins de tours/min)
  • Recours a des moteurs thermiques à cycle d'Atkinson (taux de détente, et donc rendement, amélioré au détriment de la puissance maximum) 
  • Ne pas croire aux solutions miracles inventées par des bricoleurs, telles que le FDME
  • Mais surtout : naviguer à la voile !





mercredi 25 janvier 2012

Une centrale solaire qui stocke l'énergie?

TF1 a présenté à 20h lundi dernier (23 janvier 2012) comme une grande nouveauté une installation étudiée par l’Université de Corse pour stocker l’énergie produite par des panneaux solaires au moment où l’on n’en n’a pas besoin, afin de la restituer au moment des pointes de consommation. Ce stockage est effectué sous forme d’hydrogène et d’oxygène gazeux comprimés obtenus par électrolyse,  et restitué sous forme électrique par une pile à combustible, selon le schéma ci-dessous :

 

 Le principe est bon, çà ne peut que fonctionner.

Est-ce une nouveauté ? Pas vraiment…
  • L’électrolyse de l’eau a été réalisée dès 1800, et est devenue industrielle dès que le réseau électrique s’est développé, autour de 1900.
  • L’effet pile à combustible a été découvert en 1840. Les premières piles à combustibles dignes de ce nom ont été développées vers 1950, utilisées dans le domaine spatial (Apollo), puis commercialisées comme unités autonomes de production d’énergie électrique, mais restent coûteuses et de durée de vie limitée.
Le stockage de l’énergie électrique est un vieux problème, qui n’a que peu de solutions :
  • Les batteries d’accumulateurs ont des performances énergétiques désastreuses, une durée de vie limitée, un rendement acceptable de l’ordre de 70% en décharge/charge, et sont tout sauf vertes. 
  • Les volants d’inertie ont été envisagés, mais ils sont finalement encore moins bons que des batteries.
  • Les stockages thermiques seraient très mauvais si leur utilisation finale n’était pas thermique et locale, car la reconversion en électricité ne se ferait qu’avec un rendement déplorable (Principe de Carnot)
  • La seule bonne solution, malheureusement limitée, est le pompage d’eau dans des centrales hydrauliques réversibles, qui renvoie au niveau de la retenue supérieure l’eau pompée dans le lac inférieur. Son rendement est de 80%. Elle est parfaitement écologique. Mais elle n’est possible qu’en montagne, avec de l’eau: les suisses s’en sont fait une spécialité. Un important projet est en cours dans île de Gomera (Canaries) pour stocker l’énergie des éoliennes sous forme d’eau de mer renvoyée en altitude dans le cratère d’un volcan. Mais là bas, il y a les alizés, un volcan, pas de voitures, et pas de chauffage.
  • Le recours à un stockage chimique est une idée très ancienne, mais pratiquement jamais réalisée en raison des contraintes de mise en œuvre et d’un rendement médiocre.


Un rendement désastreux

Rappelons d’abord qu’un panneau solaire ne produit, en moyenne sur l’année, qu’environ 15% de sa puissance nominale, celle d’un panneau perpendiculaire aux rayons du soleil au zénith. Ce 15% est une moyenne pour la France. Admettons qu’en Corse, il monte à 20%. Ces taux très bas expliquent le coût très élevé de l’énergie photovoltaïque, car si le soleil est gratuit, les panneaux ne le sont pas, et leur durée de vie est limitée.

Ces taux sont une moyenne sur l’année : il sont évidemment supérieurs en été et inférieurs en hiver, au moins dans un facteur 3. Or c’est en hiver que les pointes de consommation sont, et de loin, les plus importantes, alors que la production sera au plus bas, voire insignifiante par temps couvert. Pas de chance !

L’électrolyse introduit des pertes importantes : la tension nécessaire est largement supérieure à la tension électrochimique d’électrolyse. L’énergie récupérée sous forme chimique ne représente que 60% environ de l’énergie électrique utilisée. En revanche, une cuve d’électrolyse est un dispositif simple et peu coûteux.

Le stockage étant nécessairement sous forme gazeuse, il nécessite des réservoirs volumineux résistant à une pression très élevée, et donc très lourds et coûteux. Ce stockage sera nécessairement limité.



Pour assurer la transformation inverse, la pile à combustible était en concurrence avec un groupe électrogène à moteur thermique alimenté à l’hydrogène (zéro émission) plus alternateur. La pile a été retenue parce que son rendement est meilleur : environ 50% contre 30%. Mais son prix est très élevé, et sa maintenance est lourde.

Cette « usine à gaz » (oui, oui, l’oxygène et l’hydrogène sont des gaz !) aboutit à un rendement final de 60% x 50% = 30% de l’énergie fournie par les panneaux, ou encore de 30% x 20% = 6% de la puissance nominale des panneaux… Et encore, ces résultats ne tiennent pas compte de l’énergie perdue dans la compression des gaz en vue de les stocker.

Une énergie récupérée hors de prix

L’énergie photovoltaïque reste de très loin la plus chère, de toutes, avec un prix de rachat par ERDF au détail récemment ramené à 0,45 €/KWh. ERDF devra la retransformer en moyenne tension pour l’acheminer vers son lieu d’utilisation où elle sera revendue en moyenne 0,12 €/KWh, et ce, principalement en périodes de basse consommation pendant lesquelles le prix « spot » de l’énergie électrique sur les marchés internationaux est inférieur à 0,05 €/KWh.

Du seul fait que le rendement du stockage envisagé n’excède pas 30%, le prix de revient des KWh différés va monter à 0,45 / 30% = 1,50 €/KWh, et ce, avant amortissement du coût de l’installation de stockage. Ils seront revendus, au détail, 12 fois moins cher, et finalement refacturés à tous les abonnés ERDF dans la dernière ligne "CSPE" de la facture : « Contribution au Service Public de l’Electricité ».

Il existe, heureusement, d’innombrables manières de réduire les émissions de CO2 sans perde de vue à ce point les contraintes économiques !

Est-ce la bonne solution ?

Le principe utilisé est satisfaisant pour l’esprit, de par sa symétrie :
  • oxygène et hydrogène séparés puis recombinés
  • électrolyse et pile à combustibles utilisant le même couple électrochimique.

C’est un beau sujet pour une Université, et peu importent le rendement et le coût.

On pourrait pourtant envisager et étudier d'autres solutions, plus industrielles, qui produiraient beaucoup plus d’énergie grâce à un meilleure utilisation de l'oxygène, sans émettre de CO2.
  • La pile à combustible peut parfaitement fonctionner avec de l’air, et fournira sensiblement la même énergie électrique sans consommer d'oxygène.
  • L’oxygène pur peut alors être utilisé comme unique comburant du fioul, ou demain du gaz qui va arriver en Corse (tant qu’on en a) pour alimenter directement une turbine à gaz, ou la chaudière d'une turbine à vapeur. Les fumées sont ainsi constituées exclusivement de vapeur d’eau, qui se sépare par condensation, et de gaz carbonique pur, aisément captable.
  • Cette turbine à gaz serait très spécifique : température plus élevée contraignant sans doute à une pression plus basse, et pourrait être suivie d'une turbines à vapeur pour constituer une centrale à cycle combiné de très bon rendement global sans émission de CO2.
  • En variante plus simple: l'oxygène pur est utilisé pour faire du reformage autothermique du méthane (gaz naturel) selon la réaction thermiquement neutre:                                                     CH4 + 0,34 O2 + 1,32 H20 --> CO2 + 3,32 H2 
  • qui donne, en volume, près de 10 fois plus d'hydrogène qu'elle ne consomme d'oxygène, soit 5 fois plus que celui résultant de l'électrolyse. Cet hydrogène pourrait être utilisé dans la pile à combustible, ou dans une turbine conventionnelle hydrogène / air.
  • Parce qu’il est pur, et contrairement à la totalité des centrales thermiques où il est mélangé à l’azote, ce gaz carbonique est très facile à liquéfier à température ambiante par compression (60 à 70 bars), et ensuite à transporter sur un site approprié, notamment pétrolifère, pour être réinjecté dans le sous-sol.
L’oxygène fourni à partir des panneaux solaires ne sera sans doute pas disponible en quantité suffisante pour alimenter une turbine à gaz, même petite, ou une unité de reformage, mais cette idée pourrait s'appliquer hors de Corse à une électrolyse à partir de centrales électro-nucléaires en heures creuses, pour contribuer aux consommations de pointe sans émission de CO2. Le coût risque de rester élevé en raison des contraintes de stockage de l'oxygène et de l'hydrogène, mais celui-ci est en partie réduit par le passage par le reformage, eu égard au facteur 10 cité plus haut entre l'oxygène stocké consommé et l'hydrogène fourni immédiatement utilisé.

Le problème est-il bien posé ?

En général, réduire les émissions de CO2 résultant des pointes de consommation qui obligent à recourir aux centrales thermique, est une bonne idée, quoique pas nouvelle, mais pourquoi devrait-on le faire particulièrement à partir des panneaux photovoltaïques ?

Rappelons les chiffres France 2010 selon l’INSEE pour les énergies vertes :

Eolien
Photovoltaïque
Energie en MTEP
0,83 MTEP
0,05 MTEP
% énergie électrique (38 MTEP)
2,2%
0,1%
% énergie finale (170 MTEP)
0,5%
0,03%

Il est clair que vue son insignifiance et son coût, l’énergie photovoltaïque différée n’a aucune chance de réduire significativement les crêtes. Le stockage envisagé n’a pas d’autre valeur que l’enseignement… ou la satisfaction des électeurs et militants écologistes qui n’ont pas vraiment compris le problème.

En Corse, dont le réseau n’est pas relié à la France (donc pas de nucléaire), la consommation électrique est couverte :
  •            à 30% par l’hydraulique locale
  •           à 50% par une centrale thermique au fioul, selon photo ci-dessous (CO2)
  •           à 20% par des importations de Sardaigne (CO2)
  •         une centrale au gaz (CO2) rendue possible par l’arrivée en Corse du réseau de gaz naturel est en projet

  
Paradoxalement, l’arrivée du réseau de gaz en Corse va réduire significativement les émissions de CO2, non pas en raison du remplacement du fioul par du gaz, mais parce que ce gaz sera distribué directement dans les villes. Utilisé dans des chaudières à condensation il permet un rendement proche de 100% (sur PCS (1)), alors qu’un chauffage à l’électricité d’origine thermique ne dépassera pas un rendement cumulé de 35% en général, 50% s’il s’agit d’une centrale à gaz à cycle combiné. Les émissions de CO2 liées au chauffage domestique électrique en Corse ont donc un potentiel de réduction de plus de 50%, même si les technologies utilisées ne sont pas vertes !

(1) PCS = Pouvoir Calorifique Supérieur, mesuré avec des fumées à moins de 100 °C, c'est à dire après condensation de la vapeur d'eau, et donc récupération de la chaleur latente de condensation.Les fabricants ont tendance à afficher le rendement sur PCI (Pouvoir Calorifique Inférieur avant condensation), qui leur permet d'afficher des rendements supérieurs à 100%, mais dépourvus de sens.

jeudi 19 janvier 2012

Le Bonus / Malus écolo automobile : Une bonne idée?

Nous nous sommes habitués à ce bonus/malus attribués aux véhicules automobiles neufs en fonction de leurs émissions de CO2. Le barème en escaliers pour 2012 figure dans le graphe ci-dessous :
  • En bleu dans le cas général
  • En rouge pour les hybrides qui ont droit à un régime particulier
  • Le malus annuel pour les véhicules à plus de 190 g/km est intégré sur 5 ans.
L’axe horizontal de ce graphe est « vert », mais abstrait. Or il est très facile de le rendre concret : en remarquant que le % en masse du carbone dans l’essence et dans le gazole est le même, (ce qui est vrai à environ 1% près selon la composition variable de ces carburants qui sont des produits de distillation et non des corps purs), l’émission de CO2 est exactement proportionnelle à la consommation de carburant, quel qu'il soit, exprimée en kg/100 km. On peut donc parler indifféremment de :
  •        120 grammes de CO2 au kilomètre
  •        3,87 kilogrammes de carburant (essence ou gazole) aux 100km
  •         4,60 litres de gazole (densité 0,84) aux 100 km
  •         5,18 litres d’essence (densité 0,75) aux 100 km
Nous qualifierons ci-dessous le véhicule ayant cette émission (et donc cette consommation), de «véhicule neutre» pour le comparer aux autres.



Le législateur a introduite le bonus/malus pour inciter l’acquéreur à choisir un véhicule émettant moins. Mais ce consommateur n’a pas attendu le législateur pour se préoccuper du sujet, qui est pour lui plutôt la consommation, mais c’est synonyme : il a compris depuis fort longtemps l’intérêt de véhicules consommant moins.

L’impact de cette consommation a été rajouté sur le graphe en considérant, sur 150 000 km de durée de vie supposée du véhicule, les coûts en € de l’écart de coût par rapport au véhicule neutre, chiffré en Euros :
·        résultant de la TICPE (1) chargée de sa TVA (2) afférente, en pointillés,
·        résultant du  coût à la pompe en trait plein,
·        et ce pour le gazole en orange et l’essence SP95 en vert.

On constate, particulièrement dans l’intervalle de 90 g à 190 g, dans lequel se placent presque tous les véhicules,  que l’incitation résultant du bonus/malus :
·      est inférieure à l’incitation résultant de la TICPE pour un véhicule diesel, très inférieure pour un véhicule à essence,
·    est presque négligeable devant l’incitation résultant du coût du carburant, particulièrement de l’essence.

On peut donc penser que l’impact du bonus/malus est faible…

Mais le principal problème n’est pas là. Quel est l’objet de ce dispositif ? De réduire les émissions de CO2 et la consommation de carburant, bien sûr ! Ce dispositif ne fait pas partie des impôts redistributifs tels que l’IR (3) ou l’ISF (4) qui existent déjà par ailleurs. Est-il bien adapté à son objet ?

La consommation totale sur la vie d’un véhicule dépend de nombreux paramètres :
  1.          la durée de vie du véhicule
  2.          sa distance annuelle moyenne parcourue
  3.          sa consommation selon cycle normalisé
  4.          la vitesse moyenne
  5.          le type de trafic : urbain, routier autoroutier
  6.          le comportement du conducteur, économe ou nerveux 
  7.      l'état de maintenance du véhicule
Les 3 premiers paramètres sont les 3 facteurs d'un même produit:
Consommation cumulée théorique du véhicule sur sa vie = (1.) x (2.) x (3.)
            Les 4 derniers paramètres sont des correctifs importants.
Curieusement, le législateur n’a retenu que le 3ème paramètre, et a oublié tous les autres, sinon le 1er dans une petite mesure: un véhicule récent remplacé après accident permet de toucher la prime une deuxième fois!

Le bonus/malus a ainsi pour effet :
  •           d’avantager le foyer qui a besoin de deux petites voitures et de pénaliser celui qui a besoin d’une grosse, les deux choix pouvant être légitimes, et l’Etat n’ayant pas à en juger,
  •          d’avantager celui qui fait beaucoup de kilomètres dans une petite voiture, et de pénaliser celui qui en fait peu dans une grosse, les deux étant à nouveau légitimes,
  •           de n’inciter ni à ralentir, ni à adopter une conduite économique,
  •           de pénaliser les véhicules de très haut de gamme, notamment sportifs, qui roulent en fait très peu,
  •           de pénaliser ou d’avantager de façon finalement indue le véhicule qui sera détruit prématurément, ou exporté.
Cette action de l’Etat sur le véhicule, et non sur le carburant, est donc à bien des égards une intervention inutilement liberticide dans le choix des citoyens.

Incidence de la TICPE

Rappelons que la TICPE n’a jamais été un impôt écologique, mais bien une contrepartie légitime au coût économique des véhicules pour la collectivité : rues, routes, autoroutes sans péages, ponts, tunnels, éclairage routier, police routière, prévention routière, etc. A ce titre, il n’y a aucune raison d’en exempter les véhicules à gaz, à hydrogène, ou électriques rechargeables. Leur coût pour la collectivité n’est pas différent ! Il peut même être plus élevé si des infrastructures publiques sont nécessaires à leur utilisation (bornes de recharge publiques de véhicules électriques).

Si l’Etat, et c’est ici son rôle, estime devoir dissuader les émissions de CO2, il devra introduire une taxe sur les émissions de CO2, souvent appelée « taxe carbone », qui serait beaucoup mieux adapté que le bonus / malus, notamment par une assiette plus large incluant TOUS les produits contribuant aux émissions de CO2, et non pas seulement celles des carburants. Un message de ce blog sera consacré prochainement à ce vaste sujet.

Indépendamment de cela, il est indispensable que l’Etat procède à une rationalisation de la TIPP, dont le montant, avant TVA, est actuellement de :
  •           0,512 € par litre, soit 0,610 €/kg pour le gazole
  •           0,726 € par litre, soit 0,968 €/kg pour l’essence, 59% supérieure à la précédente.
Cette différence de traitement est incompréhensible et injustifiée. Les deux carburants ayant le même pouvoir calorifique (44 MJ/Kg), les mêmes émissions, et la même utilisation, ils devraient supporter le même montant de TICPE. Le fait que le gazole ait un rendement un peu meilleur, résultant de sa capacité à supporter des taux de compression plus élevés, et qu’il amène une pollution par particules de carbone, inciterait même à une TICPE un peu supérieure à celle de l’essence. Cette anomalie française a provoqué la « diesélisation » du parc français, et de lui seul, au détriment du consommateur qui paye plus cher l’achat et la maintenance de petits moteurs diesel, sans avantage par ailleurs.

Une politique raisonnable, à fiscalité constante, consisterait donc à :
  •           baisser la TICPE sur le litre d’essence, par exemple de 0,010 € par an
  •           augmenter la TICPE sur le litre de gazole, par exemple 0,004 € par an,
  •          permettant ainsi de passer en 15 ans de respectivement 0,51€/kg et 0,81 €/kg,  à une valeur commune de 0,59 €/kg atteinte en 2027, 
  •      et de supprimer le dispositif de bonus/malus qui est fiscalement neutre (ou qui cherche à l’être).

Une telle progressivité sur une longue période est indispensable pour :
  •           ne pas pénaliser les utilisateurs de moteurs diesel récents,
  •           ne pas créer d’aubaine pour les utilisateurs de moteurs à essence récents
  •           laisser aux constructeurs le temps d’amortir leurs investissements et d’adapter leurs produits et leurs outils de production,
  •           et ne pas mettre une fois de plus la France en position de pays à risque en raison de son  instabilité réglementaire et fiscale.
L’évolution simultanée de la TIPP sur les deux carburants est indispensable pour rester à une fiscalité globale constante.  Nous avons bâti un scénario de substitution raisonnable, ci-dessous, selon lequel la production de moteurs à essence atteindrait son plafond de 90% en 2030, et le parc à essence atteindrait les 2/3, encore croissant pendant 10 ans. La production et le parc diesel, non représentés, sont évidemment le complément à 100 des % relatifs à l’essence.


Bien entendu, pendant ces 20 ans, il est hautement probable que le prix du pétrole brut augmentera  fortement, et ce, selon l’expérience du passé, de façon brutale, erratique et imprévisible. Une hausse progressive de la TIPP sur le gazole :
  •          anticiperait les hausses de prix inéluctables
  •      assurerait la transition vers des véhicules plus évolués consommant moins ou utilisant des solutions alternatives, notamment hybrides, voire électriques dans certains cas.
Il serait évidemment possible de l’adapter selon les termes du dilemme pouvoir d’achat / dissuasion écologique, et selon l’introduction ou non d’une taxe carbone.

(1)    TICPE : Taxe Intérieure sur la Consommation de Produits Energétiques (ex TIPP)
(2)    TVA : Taxe à la Valeur Ajoutée (19,6% du montant hors taxes)
(3)    IR : Impôt sur le Revenu
(4)    ISF : Impôt de Solidarité sur la Fortune

lundi 9 janvier 2012

FDME : un économiseur de carburant?




Table des matières du blog


Le scoop

Comme cela arrive au moins une fois par an, le journal de 20h de FT1 a consacré hier (dimanche 8 janvier 2012) deux minutes de « prime time »  à la présentation d’un « économiseur de carburant » …

Celui-ci, le FDME (Fragmenteur De Molécules  Ecologique) est particulièrement génial : c’est un petit cylindre métallique, environ 100 mm x Æ30mm, avec une tubulure à chaque extrémité, qu’il suffit d’insérer dans le circuit basse pression du carburant (tuyau souple en caoutchouc) pour baisser la consommation de 10%. Il comporte  « un champ magnétique très puissant dans une enveloppe blindée, qui fragmente la molécule, fluidifie le carburant et permet une meilleure combustion ». Il a été « inventé par quatre frères mécaniciens avec l’aide d’un astrophysicien ». Ils croulent sous les commandes et vont créer des centaines d’emplois. Et Claire Chazal de conclure : « Grâce à leur sérieux, les quatre frères vont pouvoir jouer dans la cour des grands ».  



Réjouissons nous : La consommation française annuelle de carburants dans les transports terrestres va donc pouvoir baisser de 10%, soit 4 millions de tonnes, soit 2,4 milliards d’euros de moins à importer !
Et en plus, on va payer moins d’impôts : la TICPE (Taxe Intérieure sur la Consommation de Produits Enegétiques), qui rapporte actuellement 25 milliards d’euros à Bercy, va être amputée de 2,5 milliards. Et la TVA, va être réduite aussi !

Vraiment ?

Le rendement des moteurs thermiques est un problème fondamental pour les scientifiques et ingénieurs depuis que Sadi Carnot a énoncé en 1824 ce qui est devenu le 2ème principe de la thermodynamique, et que Rudolf Clausius à créé en 1865 le concept d’entropie. Presque tout était alors dit sur la théorie, il restait aux ingénieurs à améliorer les technologies.

Et elles l’ont été. Depuis 40 ans, la consommation des véhicules a été divisée par deux, grâce à des innovations technologiques visant à se rapprocher de l’optimum théorique : du barbotage au carburateur, à l’injection, puis au « common rail », de l’allumage conventionnel à l’allumage électronique basse tension, puis haute tension, puis cartographique, puis commande des moteurs par microprocesseur, amélioration des tubulures d’admission et d’échappement, les multisoupapes, l’optimisation des chambres de combustion, la réduction récente des cylindrées (« downsizing ») compensée par adjonction de turbocompresseurs. Cette évolution va continuer avec les hybrides et les boîtes automatiques sophistiquées qui optimisent le point de fonctionnement, les moteurs à cycle d’Atkinson, et demain les moteurs à taux de compression variable et la commande électronique des soupapes.

Ces progrès successifs, dont chacun n’amène que quelques % d’économie, reposent sur les efforts collectifs monstrueux, mais justifiés par l’enjeu : des milliers d’ingénieurs chez les constructeurs, les équipementiers (Bosch, Valeo, ...), des laboratoires universitaires ou privés (IFP) travaillent pendant des années avec des moyens considérables pour obtenir une petite amélioration. Et plus une technologie est mure, plus les progrès sont coûteux. Le grand public sous-estime considérablement le temps et le coût d’une toute petite amélioration.

Pas de complot

Les adeptes de la théorie du complot diront : « Il y a une collusion entre les pétroliers et les constructeurs pour que les véhicules consomment beaucoup, dans l’intérêt des premiers ». Trop d’efforts ont été faits pendant trop longtemps par de trop nombreux acteurs différents ou concurrents, ayant obtenus de trop bons résultats pour que cette théorie ait la moindre crédibilité.

Brevets ?

L'appareil porte le mention "technologie française brevetée". Or on dépose un brevet sur un produit ou un procédé, pas sur une technologie. Qu'est ce qui est breveté, et où? Une invention ayant un tel enjeu ne peut qu’être protégée par des brevets dans tous les pays du monde, avant toute divulgation. Il est très étonnant qu'une telle opération, longue et coûteuse, ait pu être faite pendant l'année  de développement.  

Pas de test normalisé ?

La consommation d’un véhicule est définie par des tests normalisés dont les résultats sont publiés par les constructeurs. Ces test sont sans doute critiquables, en ceci que l’utilisateur est toujours au dessus, car son cycle est plus sévère, son attention moindre, et son véhicule pas à l’optimum,  mais ces tests ont le mérite d’exister, et d’être reproductibles et comparables entre eux. On aurait aimé avoir les résultats d’un véhicule avec en sans le FDME. Ce n’est pas le cas. Est-ce parce que les tests n’ont pas été faits, ou parce que les résultats n’étaient pas différents ? L’affirmation de baisse de consommation ne s’appuie à ce stade sur rien de sérieux .

Un compte de fées

Dans ce contexte l’invention annoncée par TF1 relève du compte de fées. Comment quatre frères, fils d’agriculteur, ayant probablement des moyens et des connaissances très limités par rapport aux organismes scientifiques et professionnels, auraient-ils pu réaliser en seulement un an une telle avancée technologique majeure ? Les inventeurs géniaux existent, mais toujours dans des activités naissantes, ou sur des produits nouveaux : on en est loin.

Les explications avancées, bien que trop brèves pour pouvoir être vraiment analysées, laissent perplexe :

·        Fragmenter les molécules par un champ magnétique puissant ? Le boîtier ne comporte pas d’alimentation électrique. Il est donc passif : pas d’électroaimant, pas d’électronique de puissance, pas d'énergie, sinon celle du débit multiplié par la perte de pression, très faible. Sans doute des aimants permanents qui peuvent donner une induction supérieure à 1 tesla. Supposons que le carburant passe dans ce champ magnétique. Et alors ? Les hydrocarbures sont connus pour leur rigidité électrostatique et sont strictement amagnétiques. C’est pour cette raison qu’on les utilise dans les transformateurs  électriques à moyenne et haute tension : rien ne bouge, ils sont stables, les champs électrostatiques et électromagnétiques n’ont aucune action sur eux.

·     Fragmenter la molécule pour quoi faire ? Chaque type de moteur, essence ou diesel, est conçu pour utiliser un carburant normalisé correspondant à un cahier des charges précis quant aux molécules admissibles. Casser ces molécules, si cela était possible, aboutirait à alléger le carburant : le fioul tend vers l’essence, l’essence tend vers le butane, avec pour résultat un autoallumage précoce : les moteurs cliquètent. Or cà ne semble pas être le cas. Conclusion : le fragmenteur ne fragmente rien, heureusement !

·        Le rendement du moteur s’améliore quand le carburant est plus fluide ? Sur quoi repose cette affirmation ? Dans la famille des alcanes (hydrocarbures les plus courants), la viscosité croît logiquement avec la longueur de la chaîne moléculaire : le GPL est gazeux (sous 1 bar),  l’essence est parfaitement liquide, le gazole a déjà une consistance un peu huileuse, les fiouls et kérosènes sont huileux, les fiouls lourds sont pâteux, et la paraffine est solide. Et pourtant, le rendement s’améliore pour les carburants plus lourds, pour une autre raison : ils supportent un taux de compression plus élevé car ils sont moins sujets à l’auto-allumage.

·        Améliorer la combustion ? C’est donc qu’elle n’était pas bonne, et qu’il y aurait 10% d’imbrûlés ? Mais où sont-ils passés ? Les moteurs modernes n’émettent ni CO, ni carbone (essence), si ce n'est dans des proportions infinitésimales (diesel). Le tableau ci-dessous calcule la valeur énergétique (en Kilo Joules) des émissions indésirables au maximum de la norme en vigueur, émissions vérifiées au cours des contrôles techniques. On constate qu'elles n'excèdent pas 0,31% pour les moteurs diesel, et 0,69% pour les moteurs à essence. Prétendre réduire la consommation de 10% par réduction d'imbrûlés largement inférieurs à 1%, est tout simplement absurde!


Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence : sans préjuger de la bonne foi des inventeurs, le FDME n’est qu’un placebo : ceux qui y croient ne jugeront pas utile de faire des mesures qui pourraient montrer qu’ils ont perdu 400 € (VL) ou 1200 € (PL) dans l’achat d’un gadget inutile, et continueront donc à y croire : le « plein » est une unité si peu précise !

Ce qui est plus surprenant, et assez critiquable, est que TF1 diffuse des informations aussi évidemment fausses. Elle contribue ainsi à promouvoir l’irrationnel. Manque de culture scientifique et technique, ou goût du scoop ? Chacun jugera !