mercredi 25 janvier 2012

Une centrale solaire qui stocke l'énergie?

TF1 a présenté à 20h lundi dernier (23 janvier 2012) comme une grande nouveauté une installation étudiée par l’Université de Corse pour stocker l’énergie produite par des panneaux solaires au moment où l’on n’en n’a pas besoin, afin de la restituer au moment des pointes de consommation. Ce stockage est effectué sous forme d’hydrogène et d’oxygène gazeux comprimés obtenus par électrolyse,  et restitué sous forme électrique par une pile à combustible, selon le schéma ci-dessous :

 

 Le principe est bon, çà ne peut que fonctionner.

Est-ce une nouveauté ? Pas vraiment…
  • L’électrolyse de l’eau a été réalisée dès 1800, et est devenue industrielle dès que le réseau électrique s’est développé, autour de 1900.
  • L’effet pile à combustible a été découvert en 1840. Les premières piles à combustibles dignes de ce nom ont été développées vers 1950, utilisées dans le domaine spatial (Apollo), puis commercialisées comme unités autonomes de production d’énergie électrique, mais restent coûteuses et de durée de vie limitée.
Le stockage de l’énergie électrique est un vieux problème, qui n’a que peu de solutions :
  • Les batteries d’accumulateurs ont des performances énergétiques désastreuses, une durée de vie limitée, un rendement acceptable de l’ordre de 70% en décharge/charge, et sont tout sauf vertes. 
  • Les volants d’inertie ont été envisagés, mais ils sont finalement encore moins bons que des batteries.
  • Les stockages thermiques seraient très mauvais si leur utilisation finale n’était pas thermique et locale, car la reconversion en électricité ne se ferait qu’avec un rendement déplorable (Principe de Carnot)
  • La seule bonne solution, malheureusement limitée, est le pompage d’eau dans des centrales hydrauliques réversibles, qui renvoie au niveau de la retenue supérieure l’eau pompée dans le lac inférieur. Son rendement est de 80%. Elle est parfaitement écologique. Mais elle n’est possible qu’en montagne, avec de l’eau: les suisses s’en sont fait une spécialité. Un important projet est en cours dans île de Gomera (Canaries) pour stocker l’énergie des éoliennes sous forme d’eau de mer renvoyée en altitude dans le cratère d’un volcan. Mais là bas, il y a les alizés, un volcan, pas de voitures, et pas de chauffage.
  • Le recours à un stockage chimique est une idée très ancienne, mais pratiquement jamais réalisée en raison des contraintes de mise en œuvre et d’un rendement médiocre.


Un rendement désastreux

Rappelons d’abord qu’un panneau solaire ne produit, en moyenne sur l’année, qu’environ 15% de sa puissance nominale, celle d’un panneau perpendiculaire aux rayons du soleil au zénith. Ce 15% est une moyenne pour la France. Admettons qu’en Corse, il monte à 20%. Ces taux très bas expliquent le coût très élevé de l’énergie photovoltaïque, car si le soleil est gratuit, les panneaux ne le sont pas, et leur durée de vie est limitée.

Ces taux sont une moyenne sur l’année : il sont évidemment supérieurs en été et inférieurs en hiver, au moins dans un facteur 3. Or c’est en hiver que les pointes de consommation sont, et de loin, les plus importantes, alors que la production sera au plus bas, voire insignifiante par temps couvert. Pas de chance !

L’électrolyse introduit des pertes importantes : la tension nécessaire est largement supérieure à la tension électrochimique d’électrolyse. L’énergie récupérée sous forme chimique ne représente que 60% environ de l’énergie électrique utilisée. En revanche, une cuve d’électrolyse est un dispositif simple et peu coûteux.

Le stockage étant nécessairement sous forme gazeuse, il nécessite des réservoirs volumineux résistant à une pression très élevée, et donc très lourds et coûteux. Ce stockage sera nécessairement limité.



Pour assurer la transformation inverse, la pile à combustible était en concurrence avec un groupe électrogène à moteur thermique alimenté à l’hydrogène (zéro émission) plus alternateur. La pile a été retenue parce que son rendement est meilleur : environ 50% contre 30%. Mais son prix est très élevé, et sa maintenance est lourde.

Cette « usine à gaz » (oui, oui, l’oxygène et l’hydrogène sont des gaz !) aboutit à un rendement final de 60% x 50% = 30% de l’énergie fournie par les panneaux, ou encore de 30% x 20% = 6% de la puissance nominale des panneaux… Et encore, ces résultats ne tiennent pas compte de l’énergie perdue dans la compression des gaz en vue de les stocker.

Une énergie récupérée hors de prix

L’énergie photovoltaïque reste de très loin la plus chère, de toutes, avec un prix de rachat par ERDF au détail récemment ramené à 0,45 €/KWh. ERDF devra la retransformer en moyenne tension pour l’acheminer vers son lieu d’utilisation où elle sera revendue en moyenne 0,12 €/KWh, et ce, principalement en périodes de basse consommation pendant lesquelles le prix « spot » de l’énergie électrique sur les marchés internationaux est inférieur à 0,05 €/KWh.

Du seul fait que le rendement du stockage envisagé n’excède pas 30%, le prix de revient des KWh différés va monter à 0,45 / 30% = 1,50 €/KWh, et ce, avant amortissement du coût de l’installation de stockage. Ils seront revendus, au détail, 12 fois moins cher, et finalement refacturés à tous les abonnés ERDF dans la dernière ligne "CSPE" de la facture : « Contribution au Service Public de l’Electricité ».

Il existe, heureusement, d’innombrables manières de réduire les émissions de CO2 sans perde de vue à ce point les contraintes économiques !

Est-ce la bonne solution ?

Le principe utilisé est satisfaisant pour l’esprit, de par sa symétrie :
  • oxygène et hydrogène séparés puis recombinés
  • électrolyse et pile à combustibles utilisant le même couple électrochimique.

C’est un beau sujet pour une Université, et peu importent le rendement et le coût.

On pourrait pourtant envisager et étudier d'autres solutions, plus industrielles, qui produiraient beaucoup plus d’énergie grâce à un meilleure utilisation de l'oxygène, sans émettre de CO2.
  • La pile à combustible peut parfaitement fonctionner avec de l’air, et fournira sensiblement la même énergie électrique sans consommer d'oxygène.
  • L’oxygène pur peut alors être utilisé comme unique comburant du fioul, ou demain du gaz qui va arriver en Corse (tant qu’on en a) pour alimenter directement une turbine à gaz, ou la chaudière d'une turbine à vapeur. Les fumées sont ainsi constituées exclusivement de vapeur d’eau, qui se sépare par condensation, et de gaz carbonique pur, aisément captable.
  • Cette turbine à gaz serait très spécifique : température plus élevée contraignant sans doute à une pression plus basse, et pourrait être suivie d'une turbines à vapeur pour constituer une centrale à cycle combiné de très bon rendement global sans émission de CO2.
  • En variante plus simple: l'oxygène pur est utilisé pour faire du reformage autothermique du méthane (gaz naturel) selon la réaction thermiquement neutre:                                                     CH4 + 0,34 O2 + 1,32 H20 --> CO2 + 3,32 H2 
  • qui donne, en volume, près de 10 fois plus d'hydrogène qu'elle ne consomme d'oxygène, soit 5 fois plus que celui résultant de l'électrolyse. Cet hydrogène pourrait être utilisé dans la pile à combustible, ou dans une turbine conventionnelle hydrogène / air.
  • Parce qu’il est pur, et contrairement à la totalité des centrales thermiques où il est mélangé à l’azote, ce gaz carbonique est très facile à liquéfier à température ambiante par compression (60 à 70 bars), et ensuite à transporter sur un site approprié, notamment pétrolifère, pour être réinjecté dans le sous-sol.
L’oxygène fourni à partir des panneaux solaires ne sera sans doute pas disponible en quantité suffisante pour alimenter une turbine à gaz, même petite, ou une unité de reformage, mais cette idée pourrait s'appliquer hors de Corse à une électrolyse à partir de centrales électro-nucléaires en heures creuses, pour contribuer aux consommations de pointe sans émission de CO2. Le coût risque de rester élevé en raison des contraintes de stockage de l'oxygène et de l'hydrogène, mais celui-ci est en partie réduit par le passage par le reformage, eu égard au facteur 10 cité plus haut entre l'oxygène stocké consommé et l'hydrogène fourni immédiatement utilisé.

Le problème est-il bien posé ?

En général, réduire les émissions de CO2 résultant des pointes de consommation qui obligent à recourir aux centrales thermique, est une bonne idée, quoique pas nouvelle, mais pourquoi devrait-on le faire particulièrement à partir des panneaux photovoltaïques ?

Rappelons les chiffres France 2010 selon l’INSEE pour les énergies vertes :

Eolien
Photovoltaïque
Energie en MTEP
0,83 MTEP
0,05 MTEP
% énergie électrique (38 MTEP)
2,2%
0,1%
% énergie finale (170 MTEP)
0,5%
0,03%

Il est clair que vue son insignifiance et son coût, l’énergie photovoltaïque différée n’a aucune chance de réduire significativement les crêtes. Le stockage envisagé n’a pas d’autre valeur que l’enseignement… ou la satisfaction des électeurs et militants écologistes qui n’ont pas vraiment compris le problème.

En Corse, dont le réseau n’est pas relié à la France (donc pas de nucléaire), la consommation électrique est couverte :
  •            à 30% par l’hydraulique locale
  •           à 50% par une centrale thermique au fioul, selon photo ci-dessous (CO2)
  •           à 20% par des importations de Sardaigne (CO2)
  •         une centrale au gaz (CO2) rendue possible par l’arrivée en Corse du réseau de gaz naturel est en projet

  
Paradoxalement, l’arrivée du réseau de gaz en Corse va réduire significativement les émissions de CO2, non pas en raison du remplacement du fioul par du gaz, mais parce que ce gaz sera distribué directement dans les villes. Utilisé dans des chaudières à condensation il permet un rendement proche de 100% (sur PCS (1)), alors qu’un chauffage à l’électricité d’origine thermique ne dépassera pas un rendement cumulé de 35% en général, 50% s’il s’agit d’une centrale à gaz à cycle combiné. Les émissions de CO2 liées au chauffage domestique électrique en Corse ont donc un potentiel de réduction de plus de 50%, même si les technologies utilisées ne sont pas vertes !

(1) PCS = Pouvoir Calorifique Supérieur, mesuré avec des fumées à moins de 100 °C, c'est à dire après condensation de la vapeur d'eau, et donc récupération de la chaleur latente de condensation.Les fabricants ont tendance à afficher le rendement sur PCI (Pouvoir Calorifique Inférieur avant condensation), qui leur permet d'afficher des rendements supérieurs à 100%, mais dépourvus de sens.