dimanche 3 avril 2011

FUKUSHIMA

Réflexions sur la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi

Le grave accident de la centrale électronucléaire de Fukushima 1 est en cours. Nous ne disposions encore que d’information fragmentaires, que déjà des voix s’élevaient pour demander l’arrêt de ces centrales en France. Les média, pour lesquels l’inquiétude fait vendre, en rajoutent dans l’horreur, et les partis écologistes sautent sur cette trop belle occasion. N’étant pas un spécialiste du nucléaire, mais quand même compétent en électrotechnique, thermodynamique et chimie, prenant en compte les déclarations des experts et notamment de IRSN, je prends le risque de  livrer à chaud mes réflexions en cours.

Face à un accident aussi grave, il ne faut surtout pas se laisser porter par une légitime émotion. Il est au contraire plus que jamais nécessaire de prendre le temps de réfléchir. Il va de soi que les causes de cet accident ne pourront être connues, et ses conséquences entièrement tirées, qu’après avoir connu et analysé le processus, ce qui demandera des mois. Pour autant, certaines remarques peuvent déjà être formulées, qui ne sont pas nécessairement conformes à l’opinion majoritaire.

-   Toutes les centrales électronucléaires japonaises semblent avoir passé sans incident un séisme exceptionnel de magnitude 8,9, tel qu’il ne s’en était pas produit depuis 140 ans au Japon. Sous réserve de confirmation, ce fait est plutôt rassurant. Il montre que ces centrales sont capables de résister à des cataclysmes très violents, mais prévus.

-     La centrale de Fukushima-Daiichi est la seule à avoir donné lieu à accidents, sur 17 centrales totalisant 55 réacteurs. Elle est la plus proche de l’épicentre du séisme, et a donc subi le tsunami le plus haut. Elle comporte 6 réacteurs EBR d’une puissance moyenne de 760 Mw construits par General Electric ou par Toshiba entre 1970 et 1979. Les réacteurs ont en moyenne 35 ans d’utilisation sans incident notable.

-    Les accidents en chaîne des différents réacteurs de cette centrale semblent résulter de deux causes de même origine:
o La destruction ou l’altération des systèmes principaux et auxiliaires de refroidissement par le tsunami.
o   La réduction ou la disparition de l’apport d’énergie électrique venant de l’extérieur aux centrales accidentées, à cause de la destruction de lignes et installations par ce même tsunami.
Il semble donc que le risque « tsunami » ait  été sous-estimé par les concepteurs de cette centrale. Il a amené la perte totale ou partielle des fonctions « refroidissement » et « ventilation », d’où respectivement les fusions partielles des cœurs et les explosions d’hydrogène. Je ne hasarderai à porter un jugement sur le fait de savoir si ce tsunami était ou non raisonnablement envisageable. Mais, dès l’instant où le niveau de ce risque est corrigé à la hausse, toutes les centrales existantes doivent être examinées à cet égard.

-     Pour prévenir les destructions par un tsunami, la première solution qui vient à l’esprit, pour les centrales futures, est de ne pas les construire au bord de la mer. Malheureusement, ce n’est guère possible (particulièrement au Japon qui ne dispose pas de grands fleuves en raison de l’étroitesse de ses îles), car toutes les centrales électrothermiques ou électronucléaires utilisent des turbines à vapeur soumises au principe de Carnot, et nécessitant donc énormément d’eau pour refroidir les condenseurs en aval de la turbine. C’est pour cette raison qu’elles sont construites au bord de fleuves (avec tours de réfrigération atmosphérique pour éviter de réchauffer ces fleuves), ou au bord de la mer (sans tours de réfrigération, car on ne réchauffe pas la mer).

-    Il est en revanche envisageable d’établir de nouvelles centrales sur des sites naturels ou remblayés à une dizaine de mères au dessus des plus hautes mers. Pour les centrales existantes, on peut penser à les entourer de digues de protection de 10 à  15 mètres, mais cette solution est à l’évidence moins fiable que la précédente.

-    En France, les seules zones légèrement sismiques sont les Pyrénées et les Alpes, où des séismes ayant légèrement dépassé la magnitude 5 ont été observés. Rappelons que l’échelle de Richter est logarithmique, ce qui signifie que chaque point de cette échelle correspond à un séisme 10 fois plus puissant (c'est-à-dire d’amplitude 3,2 fois plus grande) que celui du point précédent. Ainsi un séisme de magnitude 5,9 (jamais observé en France) est 1 000 fois moins puissant (32 fois moins d’amplitude) que le séisme japonais du 12 mars 2011 atteignant une magnitude de 8,9.

-    Sur les rives françaises, seules les rives méditerranéennes sont susceptibles d’être abordées par un tsunami. La centrale électronucléaire le plus proche est elle du Tricastin, dans la vallée du Rhône, à 110 km de la mer, et 60 m d’altitude. Elle n’est donc pas concernée, contrairement à bien d’autres installations industrielles (Fos par exemple).

-    Le risque qui a amené l’accident de Fukushima n’est donc pas susceptible de se produire en France, pour des rasions géographiques. La France reste un beau pays ! En revanche, il est légitime de se poser la question : « Y a-t-il d’autres types de risques qui n’aient pas été prévus et qui pourraient amener un semblable catastrophe ? »

-   Par nature, une telle question n’a pas de réponse absolue immédiate. En revanche les risques potentiels sont recensés par le recul dans le temps et la dispersion dans l’espace. Il y a actuellement dans le monde près de 300 réacteurs à eau et enceinte de confinement, dont certains ont 50 ans d’âge. En première approximation, l’expérience mondiale cumulée est supérieure à 6 000 années-réacteurs. Jusqu’au 12 mars 2011, il y a eu à plusieurs reprises en différents lieux des fusions de barres, et un cas de fusion totale du cœur à Three Miles Island aux USA en 1979. Ces incidents ont eu des conséquences matérielles importantes, allant jusqu’à la perte définitive de réacteurs, mais très peu de conséquences humaines et environnementales.

-    Sans pouvoir affirmer définitivement que tous les risques sont déjà connus, on peut, par une retombée positive de l’accident en cours, considérer que la connaissance humaine en la matière est maintenant très bonne. Des risques connus, mais pas encore avérés, existent aussi, comme le risque terroriste, notamment l’avion suicide qui se crashe sur un réacteur. Ce n’est pas la seule cible possible : des terroristes ont préféré les « Twin Towers » le 11 septembre 2001. Mais peut-on tout protéger contre tout ?

-        La bonne question n’est donc pas :
o   « Peut-on être sûr que l’on connaît et prévient tous les risques du nucléaire ? »
Mais plutôt :
o   « L’énergie nucléaire est elle plus dangereuse que les autres énergies primaires ? »
o   « Y a-t-il d’autres solutions ? »

La comparaison devient alors très claire :

-   L’extraction du charbon est dangereuse, particulièrement en sous-sol : effondrements, explosions (« coups de grisou »), silicose, affaissements miniers… Ses victimes dans le monde se comptent par centaines de milliers depuis qu’on l’exploite. Sa combustion produit du CO2 en quantités massives (c’est la pire énergie primaire à cet égard), et aussi des cendres volumineuses, et des gaz indésirables. Ses seuls arguments sont ses coûts bas et ses gisements encore importants.

-  L’extraction du pétrole est moins dangereuse, mais son extrême rentabilité et son importance stratégique conduisent souvent à des risques politiques majeurs. Il a provoqué et provoquera encore des guerres. Son transport par pétroliers et son extraction en mer peuvent occasionner des « marées noires ». Sa combustion produit aussi des quantités massives, quoique un peu inférieures à celles du charbon, de CO2, et des gaz indésirables. Il va se raréfier progressivement pour devenir un produit rare et cher en 30 ans environ, ce qui est très court.

-        Le gaz naturel, est le moins polluant et le moins dangereux des hydrocarbures, mais ne peut se transporter que par gazoduc, ou par bateau dit « méthanier » après une liquéfaction coûteuse. Il produit environ moitié moins de CO2 que le charbon, mais reste un très gros émetteur. Il peut aussi occasionner des tensions géopolitiques. Sa raréfaction sera plus lente que celle du pétrole, mais tout aussi inéluctable.

-  L’énergie hydraulique présente beaucoup de qualités : absence d’émissions, pas de transports, production locale, risques très limités, mais ne peut être envisagée que dans des sites favorables (relief et débit), qui sont, en France, pratiquement tous déjà équipés. On ne peut donc pas la développer. En outre, la partie de cette énergie, produite par des centrales « au fil de l’eau », c'est-à-dire dépourvues de lac amont, rentre dans la catégorie des énergies dites « fatales », qui produisent à l’improviste, c'est-à-dire ici selon le débit du cours d’eau, que l’on ne maîtrise pas. Cette partie n’est pas nécessairement disponible pour les pointes de consommation.

-  Les énergies éoliennes et photovoltaïque, outre leur coût extrêmement élevé, ont l’inconvénient majeur d’êtres "fatales", c'est-à-dire de produire pour  l’une quand il y a du vent, pour l’autre quand il y a du soleil, alors que les pointes de consommation sont plutôt la nuit, et pas nécessairement quand il y a du vent. De ce fait, leur production peut parfois se substituer à celles des autres moyens, mais elles ne peuvent pas éviter la création de ces autres moyens.

Il résulte de tout ceci que la moins mauvaise solution pour cesser de développer la filière nucléaire serait le recours à des turbines à gaz « à cycle combiné », dont le bon rendement (jusqu’à 55% ce qui est remarquable après application du principe de Carnot) permet d’émettre nettement moins de CO2 que les centrales à charbon ou à fuel. Elles resteraient néanmoins émettrices de quantités massives, et déboucheraient, si elles se généralisaient, sur une pénurie de gaz plus rapide.

Recourir au charbon ou au fuel, tous deux finalement plus dangereux que le nucléaire, augmenterait encore plus les émissions de CO2, particulièrement pour le charbon, et sans pérennité, particulièrement pour le fuel.

L’énergie électronucléaire demeure la seule solution pérenne, non émettrice de CO2, pas plus dangereuse qu’une autre, et donc incontournable, même si l’instant n’est pas favorable à la rédaction de la présente phrase.

Comme dit Vladimir Illitch Oullianov, dit Lénine : « Les faits sont têtus ! ».

Pour autant, il va de soi que, compte tenu du lourd impact écologique de l'accident, et de ses dramatiques conséquence sociales (populations déplacées) et économiques (production électrique insuffisante qui handicape l'activité japonaise), tout les enseignements doivent en être tirés pour empêcher le renouvellement d'un tel accident :
- en renforçant la sûreté des installations qui peuvent être conservées, 
- et en arrêtant celles qui ne pourraient pas être remises à ce nouveau niveau de sûreté.

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Sur Fukushima, et de manière générale sur les risques associés au nucléaire, voir l'excellent site de l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.


Pour plus de détails, et notamment pour avoir des chiffres, les éléments suivants seront bientôt disponbles sur ce site :
-        Synoptique en une page de l’énergie en France (selon chiffres INSEE)
-        Mémo sur l’énergie électrique en France