lundi 9 janvier 2012

FDME : un économiseur de carburant?




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Le scoop

Comme cela arrive au moins une fois par an, le journal de 20h de FT1 a consacré hier (dimanche 8 janvier 2012) deux minutes de « prime time »  à la présentation d’un « économiseur de carburant » …

Celui-ci, le FDME (Fragmenteur De Molécules  Ecologique) est particulièrement génial : c’est un petit cylindre métallique, environ 100 mm x Æ30mm, avec une tubulure à chaque extrémité, qu’il suffit d’insérer dans le circuit basse pression du carburant (tuyau souple en caoutchouc) pour baisser la consommation de 10%. Il comporte  « un champ magnétique très puissant dans une enveloppe blindée, qui fragmente la molécule, fluidifie le carburant et permet une meilleure combustion ». Il a été « inventé par quatre frères mécaniciens avec l’aide d’un astrophysicien ». Ils croulent sous les commandes et vont créer des centaines d’emplois. Et Claire Chazal de conclure : « Grâce à leur sérieux, les quatre frères vont pouvoir jouer dans la cour des grands ».  



Réjouissons nous : La consommation française annuelle de carburants dans les transports terrestres va donc pouvoir baisser de 10%, soit 4 millions de tonnes, soit 2,4 milliards d’euros de moins à importer !
Et en plus, on va payer moins d’impôts : la TICPE (Taxe Intérieure sur la Consommation de Produits Enegétiques), qui rapporte actuellement 25 milliards d’euros à Bercy, va être amputée de 2,5 milliards. Et la TVA, va être réduite aussi !

Vraiment ?

Le rendement des moteurs thermiques est un problème fondamental pour les scientifiques et ingénieurs depuis que Sadi Carnot a énoncé en 1824 ce qui est devenu le 2ème principe de la thermodynamique, et que Rudolf Clausius à créé en 1865 le concept d’entropie. Presque tout était alors dit sur la théorie, il restait aux ingénieurs à améliorer les technologies.

Et elles l’ont été. Depuis 40 ans, la consommation des véhicules a été divisée par deux, grâce à des innovations technologiques visant à se rapprocher de l’optimum théorique : du barbotage au carburateur, à l’injection, puis au « common rail », de l’allumage conventionnel à l’allumage électronique basse tension, puis haute tension, puis cartographique, puis commande des moteurs par microprocesseur, amélioration des tubulures d’admission et d’échappement, les multisoupapes, l’optimisation des chambres de combustion, la réduction récente des cylindrées (« downsizing ») compensée par adjonction de turbocompresseurs. Cette évolution va continuer avec les hybrides et les boîtes automatiques sophistiquées qui optimisent le point de fonctionnement, les moteurs à cycle d’Atkinson, et demain les moteurs à taux de compression variable et la commande électronique des soupapes.

Ces progrès successifs, dont chacun n’amène que quelques % d’économie, reposent sur les efforts collectifs monstrueux, mais justifiés par l’enjeu : des milliers d’ingénieurs chez les constructeurs, les équipementiers (Bosch, Valeo, ...), des laboratoires universitaires ou privés (IFP) travaillent pendant des années avec des moyens considérables pour obtenir une petite amélioration. Et plus une technologie est mure, plus les progrès sont coûteux. Le grand public sous-estime considérablement le temps et le coût d’une toute petite amélioration.

Pas de complot

Les adeptes de la théorie du complot diront : « Il y a une collusion entre les pétroliers et les constructeurs pour que les véhicules consomment beaucoup, dans l’intérêt des premiers ». Trop d’efforts ont été faits pendant trop longtemps par de trop nombreux acteurs différents ou concurrents, ayant obtenus de trop bons résultats pour que cette théorie ait la moindre crédibilité.

Brevets ?

L'appareil porte le mention "technologie française brevetée". Or on dépose un brevet sur un produit ou un procédé, pas sur une technologie. Qu'est ce qui est breveté, et où? Une invention ayant un tel enjeu ne peut qu’être protégée par des brevets dans tous les pays du monde, avant toute divulgation. Il est très étonnant qu'une telle opération, longue et coûteuse, ait pu être faite pendant l'année  de développement.  

Pas de test normalisé ?

La consommation d’un véhicule est définie par des tests normalisés dont les résultats sont publiés par les constructeurs. Ces test sont sans doute critiquables, en ceci que l’utilisateur est toujours au dessus, car son cycle est plus sévère, son attention moindre, et son véhicule pas à l’optimum,  mais ces tests ont le mérite d’exister, et d’être reproductibles et comparables entre eux. On aurait aimé avoir les résultats d’un véhicule avec en sans le FDME. Ce n’est pas le cas. Est-ce parce que les tests n’ont pas été faits, ou parce que les résultats n’étaient pas différents ? L’affirmation de baisse de consommation ne s’appuie à ce stade sur rien de sérieux .

Un compte de fées

Dans ce contexte l’invention annoncée par TF1 relève du compte de fées. Comment quatre frères, fils d’agriculteur, ayant probablement des moyens et des connaissances très limités par rapport aux organismes scientifiques et professionnels, auraient-ils pu réaliser en seulement un an une telle avancée technologique majeure ? Les inventeurs géniaux existent, mais toujours dans des activités naissantes, ou sur des produits nouveaux : on en est loin.

Les explications avancées, bien que trop brèves pour pouvoir être vraiment analysées, laissent perplexe :

·        Fragmenter les molécules par un champ magnétique puissant ? Le boîtier ne comporte pas d’alimentation électrique. Il est donc passif : pas d’électroaimant, pas d’électronique de puissance, pas d'énergie, sinon celle du débit multiplié par la perte de pression, très faible. Sans doute des aimants permanents qui peuvent donner une induction supérieure à 1 tesla. Supposons que le carburant passe dans ce champ magnétique. Et alors ? Les hydrocarbures sont connus pour leur rigidité électrostatique et sont strictement amagnétiques. C’est pour cette raison qu’on les utilise dans les transformateurs  électriques à moyenne et haute tension : rien ne bouge, ils sont stables, les champs électrostatiques et électromagnétiques n’ont aucune action sur eux.

·     Fragmenter la molécule pour quoi faire ? Chaque type de moteur, essence ou diesel, est conçu pour utiliser un carburant normalisé correspondant à un cahier des charges précis quant aux molécules admissibles. Casser ces molécules, si cela était possible, aboutirait à alléger le carburant : le fioul tend vers l’essence, l’essence tend vers le butane, avec pour résultat un autoallumage précoce : les moteurs cliquètent. Or cà ne semble pas être le cas. Conclusion : le fragmenteur ne fragmente rien, heureusement !

·        Le rendement du moteur s’améliore quand le carburant est plus fluide ? Sur quoi repose cette affirmation ? Dans la famille des alcanes (hydrocarbures les plus courants), la viscosité croît logiquement avec la longueur de la chaîne moléculaire : le GPL est gazeux (sous 1 bar),  l’essence est parfaitement liquide, le gazole a déjà une consistance un peu huileuse, les fiouls et kérosènes sont huileux, les fiouls lourds sont pâteux, et la paraffine est solide. Et pourtant, le rendement s’améliore pour les carburants plus lourds, pour une autre raison : ils supportent un taux de compression plus élevé car ils sont moins sujets à l’auto-allumage.

·        Améliorer la combustion ? C’est donc qu’elle n’était pas bonne, et qu’il y aurait 10% d’imbrûlés ? Mais où sont-ils passés ? Les moteurs modernes n’émettent ni CO, ni carbone (essence), si ce n'est dans des proportions infinitésimales (diesel). Le tableau ci-dessous calcule la valeur énergétique (en Kilo Joules) des émissions indésirables au maximum de la norme en vigueur, émissions vérifiées au cours des contrôles techniques. On constate qu'elles n'excèdent pas 0,31% pour les moteurs diesel, et 0,69% pour les moteurs à essence. Prétendre réduire la consommation de 10% par réduction d'imbrûlés largement inférieurs à 1%, est tout simplement absurde!


Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence : sans préjuger de la bonne foi des inventeurs, le FDME n’est qu’un placebo : ceux qui y croient ne jugeront pas utile de faire des mesures qui pourraient montrer qu’ils ont perdu 400 € (VL) ou 1200 € (PL) dans l’achat d’un gadget inutile, et continueront donc à y croire : le « plein » est une unité si peu précise !

Ce qui est plus surprenant, et assez critiquable, est que TF1 diffuse des informations aussi évidemment fausses. Elle contribue ainsi à promouvoir l’irrationnel. Manque de culture scientifique et technique, ou goût du scoop ? Chacun jugera !