jeudi 19 janvier 2012

Le Bonus / Malus écolo automobile : Une bonne idée?

Nous nous sommes habitués à ce bonus/malus attribués aux véhicules automobiles neufs en fonction de leurs émissions de CO2. Le barème en escaliers pour 2012 figure dans le graphe ci-dessous :
  • En bleu dans le cas général
  • En rouge pour les hybrides qui ont droit à un régime particulier
  • Le malus annuel pour les véhicules à plus de 190 g/km est intégré sur 5 ans.
L’axe horizontal de ce graphe est « vert », mais abstrait. Or il est très facile de le rendre concret : en remarquant que le % en masse du carbone dans l’essence et dans le gazole est le même, (ce qui est vrai à environ 1% près selon la composition variable de ces carburants qui sont des produits de distillation et non des corps purs), l’émission de CO2 est exactement proportionnelle à la consommation de carburant, quel qu'il soit, exprimée en kg/100 km. On peut donc parler indifféremment de :
  •        120 grammes de CO2 au kilomètre
  •        3,87 kilogrammes de carburant (essence ou gazole) aux 100km
  •         4,60 litres de gazole (densité 0,84) aux 100 km
  •         5,18 litres d’essence (densité 0,75) aux 100 km
Nous qualifierons ci-dessous le véhicule ayant cette émission (et donc cette consommation), de «véhicule neutre» pour le comparer aux autres.



Le législateur a introduite le bonus/malus pour inciter l’acquéreur à choisir un véhicule émettant moins. Mais ce consommateur n’a pas attendu le législateur pour se préoccuper du sujet, qui est pour lui plutôt la consommation, mais c’est synonyme : il a compris depuis fort longtemps l’intérêt de véhicules consommant moins.

L’impact de cette consommation a été rajouté sur le graphe en considérant, sur 150 000 km de durée de vie supposée du véhicule, les coûts en € de l’écart de coût par rapport au véhicule neutre, chiffré en Euros :
·        résultant de la TICPE (1) chargée de sa TVA (2) afférente, en pointillés,
·        résultant du  coût à la pompe en trait plein,
·        et ce pour le gazole en orange et l’essence SP95 en vert.

On constate, particulièrement dans l’intervalle de 90 g à 190 g, dans lequel se placent presque tous les véhicules,  que l’incitation résultant du bonus/malus :
·      est inférieure à l’incitation résultant de la TICPE pour un véhicule diesel, très inférieure pour un véhicule à essence,
·    est presque négligeable devant l’incitation résultant du coût du carburant, particulièrement de l’essence.

On peut donc penser que l’impact du bonus/malus est faible…

Mais le principal problème n’est pas là. Quel est l’objet de ce dispositif ? De réduire les émissions de CO2 et la consommation de carburant, bien sûr ! Ce dispositif ne fait pas partie des impôts redistributifs tels que l’IR (3) ou l’ISF (4) qui existent déjà par ailleurs. Est-il bien adapté à son objet ?

La consommation totale sur la vie d’un véhicule dépend de nombreux paramètres :
  1.          la durée de vie du véhicule
  2.          sa distance annuelle moyenne parcourue
  3.          sa consommation selon cycle normalisé
  4.          la vitesse moyenne
  5.          le type de trafic : urbain, routier autoroutier
  6.          le comportement du conducteur, économe ou nerveux 
  7.      l'état de maintenance du véhicule
Les 3 premiers paramètres sont les 3 facteurs d'un même produit:
Consommation cumulée théorique du véhicule sur sa vie = (1.) x (2.) x (3.)
            Les 4 derniers paramètres sont des correctifs importants.
Curieusement, le législateur n’a retenu que le 3ème paramètre, et a oublié tous les autres, sinon le 1er dans une petite mesure: un véhicule récent remplacé après accident permet de toucher la prime une deuxième fois!

Le bonus/malus a ainsi pour effet :
  •           d’avantager le foyer qui a besoin de deux petites voitures et de pénaliser celui qui a besoin d’une grosse, les deux choix pouvant être légitimes, et l’Etat n’ayant pas à en juger,
  •          d’avantager celui qui fait beaucoup de kilomètres dans une petite voiture, et de pénaliser celui qui en fait peu dans une grosse, les deux étant à nouveau légitimes,
  •           de n’inciter ni à ralentir, ni à adopter une conduite économique,
  •           de pénaliser les véhicules de très haut de gamme, notamment sportifs, qui roulent en fait très peu,
  •           de pénaliser ou d’avantager de façon finalement indue le véhicule qui sera détruit prématurément, ou exporté.
Cette action de l’Etat sur le véhicule, et non sur le carburant, est donc à bien des égards une intervention inutilement liberticide dans le choix des citoyens.

Incidence de la TICPE

Rappelons que la TICPE n’a jamais été un impôt écologique, mais bien une contrepartie légitime au coût économique des véhicules pour la collectivité : rues, routes, autoroutes sans péages, ponts, tunnels, éclairage routier, police routière, prévention routière, etc. A ce titre, il n’y a aucune raison d’en exempter les véhicules à gaz, à hydrogène, ou électriques rechargeables. Leur coût pour la collectivité n’est pas différent ! Il peut même être plus élevé si des infrastructures publiques sont nécessaires à leur utilisation (bornes de recharge publiques de véhicules électriques).

Si l’Etat, et c’est ici son rôle, estime devoir dissuader les émissions de CO2, il devra introduire une taxe sur les émissions de CO2, souvent appelée « taxe carbone », qui serait beaucoup mieux adapté que le bonus / malus, notamment par une assiette plus large incluant TOUS les produits contribuant aux émissions de CO2, et non pas seulement celles des carburants. Un message de ce blog sera consacré prochainement à ce vaste sujet.

Indépendamment de cela, il est indispensable que l’Etat procède à une rationalisation de la TIPP, dont le montant, avant TVA, est actuellement de :
  •           0,512 € par litre, soit 0,610 €/kg pour le gazole
  •           0,726 € par litre, soit 0,968 €/kg pour l’essence, 59% supérieure à la précédente.
Cette différence de traitement est incompréhensible et injustifiée. Les deux carburants ayant le même pouvoir calorifique (44 MJ/Kg), les mêmes émissions, et la même utilisation, ils devraient supporter le même montant de TICPE. Le fait que le gazole ait un rendement un peu meilleur, résultant de sa capacité à supporter des taux de compression plus élevés, et qu’il amène une pollution par particules de carbone, inciterait même à une TICPE un peu supérieure à celle de l’essence. Cette anomalie française a provoqué la « diesélisation » du parc français, et de lui seul, au détriment du consommateur qui paye plus cher l’achat et la maintenance de petits moteurs diesel, sans avantage par ailleurs.

Une politique raisonnable, à fiscalité constante, consisterait donc à :
  •           baisser la TICPE sur le litre d’essence, par exemple de 0,010 € par an
  •           augmenter la TICPE sur le litre de gazole, par exemple 0,004 € par an,
  •          permettant ainsi de passer en 15 ans de respectivement 0,51€/kg et 0,81 €/kg,  à une valeur commune de 0,59 €/kg atteinte en 2027, 
  •      et de supprimer le dispositif de bonus/malus qui est fiscalement neutre (ou qui cherche à l’être).

Une telle progressivité sur une longue période est indispensable pour :
  •           ne pas pénaliser les utilisateurs de moteurs diesel récents,
  •           ne pas créer d’aubaine pour les utilisateurs de moteurs à essence récents
  •           laisser aux constructeurs le temps d’amortir leurs investissements et d’adapter leurs produits et leurs outils de production,
  •           et ne pas mettre une fois de plus la France en position de pays à risque en raison de son  instabilité réglementaire et fiscale.
L’évolution simultanée de la TIPP sur les deux carburants est indispensable pour rester à une fiscalité globale constante.  Nous avons bâti un scénario de substitution raisonnable, ci-dessous, selon lequel la production de moteurs à essence atteindrait son plafond de 90% en 2030, et le parc à essence atteindrait les 2/3, encore croissant pendant 10 ans. La production et le parc diesel, non représentés, sont évidemment le complément à 100 des % relatifs à l’essence.


Bien entendu, pendant ces 20 ans, il est hautement probable que le prix du pétrole brut augmentera  fortement, et ce, selon l’expérience du passé, de façon brutale, erratique et imprévisible. Une hausse progressive de la TIPP sur le gazole :
  •          anticiperait les hausses de prix inéluctables
  •      assurerait la transition vers des véhicules plus évolués consommant moins ou utilisant des solutions alternatives, notamment hybrides, voire électriques dans certains cas.
Il serait évidemment possible de l’adapter selon les termes du dilemme pouvoir d’achat / dissuasion écologique, et selon l’introduction ou non d’une taxe carbone.

(1)    TICPE : Taxe Intérieure sur la Consommation de Produits Energétiques (ex TIPP)
(2)    TVA : Taxe à la Valeur Ajoutée (19,6% du montant hors taxes)
(3)    IR : Impôt sur le Revenu
(4)    ISF : Impôt de Solidarité sur la Fortune