mercredi 18 mars 2015

2 - Sécurité Routière : Evolution et extrapolation du risque en France


Le nombre annuel de tués est disponible depuis 1958, mais la circulation seulement depuis 1973, année à peine postérieure à la pointe des décès de 1972 qui a marqué une prise de conscience et le début des réactions. L'évolution du taux d'accidents sur 40 années depuis 1973 est le suivant (ordonnées logarithmiques):


Le modèle, en rouge, très simple, est une décroissance exponentielle de 5,7% par an, soit une division par 2 tous les 12 ans. L’écart-type par rapport au modèle est de 6,2%, et il est courant d’avoir plus ou moins 2 écarts types dans une loi de dispersion « normale » (dite de  Laplace). Il ne faut donc pas s’étonner du « bruit » sur la courbe, incluant même des hausses, heureusement moins fréquentes et moins marquées que les baisses. Les accidents ont un caractère aléatoire, sans lequel le métier d’assureur n’existerait pas ! A fortiori, l’écart-type sur un mois étant de 6,2% x √12 = 21,5%, les commentaires mensuels sur l’évolution des décès d’une année sur l’autre sont le plus souvent dénués de fondement, d’autant qu’ils ne prennent pas le trafic en compte.

Le chiffre de 2015 est provisoire : le nombre de tués  (3 464, en hausse) est connu, mais pas encore le kilométrage parcouru, qui a ici été supposé en progression de 5%, compte tenu d'une baisse des prix TTC des carburants de 10% en 2015 vs. 2014. La hausse des décès pour la deuxième année consécutive est évidemment déplorable, mais ne permet absolument pas de parler d’une rupture de tendance : le point est juste sur la courbe. En outre, le chiffre des décès inclut l'incendie d'autocar qui a fait 43 victimes, sinistre tout à fait atypique qui pèse à lui seul 1,3% de l'année.

Ainsi, on peut raisonnablement penser que l’accroissement du nombre de décès depuis l’été 2014, c’est-à-dire depuis la baisse du prix des carburants, résulte principalement d’une probable augmentation du trafic, et accessoirement du fait que la partie de la population qui cesse de retreindre ses trajets est aussi celle, moins fortunée, qui dispose des véhicules les plus anciens dont la sécurité passive est significativement inférieure. La publication des statistiques de trafic 2015 confirmera, ou non, cette hypothèse.

Reste que plusieurs pays européens, ayant plus ou moins connu les mêmes évolutions de prix des carburants, et donc de kilométrage parcouru, ont poursuivi la baisse du nombre des victimes. L'analyse de cet écart n'est pas simple. On note quand même une aggravtion plus marquées dans le réseau secondaire qui connaît des problèmes d'entretien, mais insuffisante pour pouvoir conclure.

L’auteur a pris le risque d’extrapoler le modèle jusqu’en 2016 + 10 = 2026, année au cours de laquelle, à trafic constant, le nombre de tués devrait, selon le modèle,  descendre jusqu’à 3 388 / 2 = 1 694. La loi exponentielle décroissante ayant une intégrale finie, on pourrait aussi, en l’extrapolant sans limite à partir de 2014, calculer que le nombre cumulé de décès sur les routes de 2015 à l’infini serait de 60 000, sorte de « solde de tout compte » de l’insécurité routière, qui peut être considéré avec :
  • optimisme, l’insécurité devant ainsi avoir une fin, sinon dans le temps, du moins en nombre cumulé de victimes,
  • ou pessimisme, car il faudra préalablement subir la disparition de l’équivalent de la ville de Lorient !
Ces résultats purement mathématiques ne sont qu’une indication du possible, mais en aucun cas une prévision.

En réalité, tout comme la courbe de baisse des coûts dans l’industrie automobile selon la théorie du Boston Consulting Group, cette courbe de réduction des décès n’est pas automatique, et doit être constamment alimentée :
  • Pendant quelques années, le simple remplacement des véhicules anciens par des véhicules récents poursuivra le progrès résultant des véhicules, mais deviendra vite insuffisant si de nouveaux équipements de sécurité ne sont pas introduits.
  • Si la réduction des dépenses publiques, ou l’opposition systématique d’extrémistes écologistes, se traduisait par un arrêt des investissements en infrastructures, cette source d’améliorations serait tarie.
  • L’homme restant faillible, distrait, fatigable, imprévisible, parfois agressif ou irresponsable, l’amélioration des comportements pourra se poursuivre grâce à la sensibilisation, à la répression, au changement de culture, mais ne sera pas exponentielle !
  • Les véhicules intelligents, capables de simplifier le travail du conducteur, de le surveiller, de reprendre la main si nécessaire, voire de l’éliminer, deviendront probablement la principale nouvelle source de sécurité.
  • A l’inverse, une crise économique majeure, avec arrêt des investissements publics, moindre entretien des infrastructures, vieillissement du parc, croissance des véhicules basiques, réduction des moyens d’intervention après accident, pourrait fort bien inverser la tendance à la baisse des taux. Il existe entre pays une corrélation (qui n’est pas une causalité) entre niveau de vie et sécurité routière.