4.1. Réflexions
sur la vitesse
La vitesse est un important paramètre de la
sécurité routière, car, toutes choses égales par ailleurs,
elle est incontestablement une cause d’augmentation de la fréquence et de
la gravité des accidents. Intuitivement, on peut penser que le taux de décès est proportionnel au carré de la vitesse
(énergie cinétique à absorber), mais ceci n’est qu’une hypothèse qui reste à
démontrer. Les rares cas (USA) de relèvement des vitesses maximum autorisées
font plutôt apparaître une proportionnalité à la vitesse, mais ils ne sont pas « toutes choses égales par ailleurs »
puisqu’ils ne sont pas simultanés et ont donc bénéficié des différents progrès
sur d’autres paramètres. Dans ce qui suit, nous conserverons donc la
proportionnalité au carré, peut-être un peu pessimiste.
A ce titre, la vitesse est constamment présentée
comme la cause principale des
accidents, et a fait l’objet d’innombrables restrictions de plus en plus
sévères, qui amènent des protestations de plus en plus véhémentes des usagers.
Elle suscite des débats passionnés. Cherchons à prendre un peu de recul…
Tout
accident résulte d’un déplacement : si la vitesse est nulle, il n’y a plus
de déplacement, et plus d’accident, mais il n’y a plus de transport routier non
plus.
Ce raisonnement par l’absurde éclaire le
débat : les transports routiers sont un moyen unique de se rendre d’un
point à un autre (et non d’une gare à une autre) dans un temps limité. Le
quotient de la longueur du trajet entre ces deux points par le temps de trajet
est la vitesse moyenne. Celle-ci est réduite par les réglementations :
- limitant la vitesse selon le lieu
- imposant une vitesse momentanément nulle aux arrêts oblgatoires (feux, stops, etc.)
Toute diminution
de la vitesse moyenne se traduit donc par une augmentation du temps de trajet, et donc par une perte relative d’intérêt
du transport routier. Contrairement à tous les autres, le paramètre
« vitesse moyenne » affecte le principe même du transport, et
introduit un dilemme entre efficacité et
sécurité.
La sécurité vise à éviter les vies perdues par la
mort, gâchées par des séquelles et invalidités, ou réduites par de longues
convalescences et rééducations. Mais la lenteur prive aussi les usagers d’une
partie de leur vie, de leur travail, de leurs loisirs, et peut amener ainsi une
perte totale cumulée globalement comparable, mais plus équitablement répartie
que celle des accidents.
Si l’on cherche à poursuivre l’amélioration de la
sécurité exclusivement par réduction de
la vitesse, et en maintenant l’hypothèse de la proportionnalité au carré de
la vitesse, on arrive au résultat suivant : Pour poursuivre la tendance à
la baisse de 5,70% par an, il faut réduire
la vitesse moyenne effective de 2,84%
par an, c’est-à-dire de 29% en 12 ans (division par 2 des décès), et de 50% en 24 ans (division par 4 des
décès). Mais qui acceptera de rouler à 65 km/h sur autoroute, à 45 km/h sur
route ordinaire, à 25 km/h en ville ? En fait, cette réduction du taux
serait accompagnée d’une réduction du trafic au moins équivalente !
Le groupe
adhère à cette notion de dilemme, mais s’est divisé sur la réduction de vitesse
maximum à 80 km/h sur route ordinaire… Il admet que la limitation de vitesse
est une nécessité, mais qu’elle ne peut, à elle seule, apporter la poursuite de
l’amélioration.
4.2. Les
circonstances de la vitesse
On remarque aussi que la mention « toutes
choses égales par ailleurs » en tête chapitre 4. ci-dessus n’est,
dans la pratique, que très inégalement vérifiée. Ainsi :
- Les autoroutes sont à la fois les voies les plus rapides et de très loin les plus sûres.
- Depuis l’année 1972 qui a connu le triste record proche de 18 000 morts sur les routes de France, le nombre de décès par kilomètre a été divisé par 10. Or la vitesse effective moyenne n’a certainement pas baissé, car, en 1972 :
- ni les véhicules du parc (Renault R4, R8, R12 et R16, Peugeot 204, 404 et 504, Citroën 2 CV, Ami 6 et 8 et DS19, Simca 1300), à l’exception des DS19 et 504
- ni les infrastructures (1 500 Km d’autoroute au lieu de 13 000) ne permettaient de rouler aux vitesses de croisière actuelles!
- De manière plus générale, si l’on compare entre eux les différents moyens de transport, il n’existe aucune corrélation, et donc aucune causalité, entre leur vitesse et leur risque. Leur position dans un plan (bi-logarithmique) Risque vs. Vitesse, non limité à la route, ni à la France, est très intéressante :
Une réserve doit être apportée : la
dangerosité de la marche, et à un
moindre degré du vélo, résultent peu de leur propre vitesse, mais principalement de celle
des autres véhicules, et donc du lieu de pratique. Mais elle peut aussi
résulter en partie du comportement des piétons et cyclistes.
4.3. Enseignements
de la Formule 1
Elle constitue une approche limitée, mais
totalement indépendante, comme « en laboratoire » où l’on peut
observer ce qui se passe sans agir sur le paramètre « vitesse ». Les
statistiques de décès en compétition des pilotes de F1 par décennie sont les
suivantes :
Après 40 ans de « combats de
gladiateurs », et le décès d'Ayrton Senna en 1994, aucun accident mortel
n’est survenu pendant 20 ans. L’accident
du 5 octobre 2014 au Grand Prix du Japon, de Jules Bianchi qui est toujours
dans le coma, est ci-dessus assimilé à un décès. S’agissant d’un
« sur-accident » résultant d’un accident matériel précédent, il
montre que la route reste longue pour éliminer tous les facteurs de risques
combinés, mais il ne change pas la
tendance.
Si la conception de ces bolides a été réglementée à
maintes reprises, leur vitesse maximum et restée à peu près constante,
au-delà de 300 km/h. Manifestement, le pilote continuant à rechercher la
vitesse avant tout, les causes de l’amélioration spectaculaire appartiennent
ici à deux familles :
- Les véhicules : sécurité passive, habitacles indéformables en carbone, harnais, casques, combinaisons…
- Les infrastructures : suppression des obstacles dangereux, adaptation des circuits…
Notons que les pires périodes de la F1 et de la
route, autour de 1970, ainsi que leurs améliorations radicales, coïncident en
raison de la prise en compte simultanée de la sécurité lors de la conception
des véhicules et des infrastructures.
On est tenté d’en conclure que l’amélioration de la
sécurité routière résulte plus des véhicules et des infrastructures que des
comportements, mais cette conclusion relève de l’analogie et n’est pas
scientifique.
Le Groupe est convaincu que la F1 apporte la preuve de l’influence considérable
des véhicules et de l’infrastructure sur la sécurité, ce qui ne signifie en
aucun cas que l’amélioration des comportements puisse être négligée en
circulation usuelle.