vendredi 24 octobre 2014

Stockage thermique de l'énergie électrique





Résumé

Le stockage thermique par absorption et restitution d’énergie électrique, théoriquement possible, conduit le plus souvent à une double application du principe de Carnot, et donc à un rendement déplorable aggravant un coût élevé. Il n’est donc pas utilisé, mais connaît deux substituts qui évitent cet écueil:
  • Le stockage thermique aval pour utilisation directe est très pertinent et très répandu. Il consiste à chauffer naturellement ou par voie électrique un corps plus ou moins isolé (bâtiment, eau chaude, briques réfractaires, sels fondus, matériaux à changement de phase) qui stockent la chaleur sous forme sensible ou latente, et le restituent, avec un retard choisi ou subi, sous forme de chaleur à basse température, disponible quand la source ne l’est plus (soleil, électricité excédentaire).
  • Le stockage thermique amont n’a d’intérêt que pour des centrales solaires thermiques, car les autres sources de chaleur (nucléaire, fossiles) sont permanentes. Il consiste à stocker de la chaleur à haute température sous forme sensible dans des sels fondus, et à la restituer pour prolonger la période de production pendant les pointes de soirée.


Stockage électrique sous forme thermique

Il part de l’idée, incontestable, que l’énergie électrique excédentaire peut aisément être transformée en chaleur par effet joule, que la température du stockage n’est pas limitée (sinon par des contraintes technologique liées aux matériaux utilisés), et que l’on peut restituer l’énergie au cours des pointes de consommation par une nouvelle transformation en énergie mécanique, puis électrique. C’est l’adjonction cerclée en rouge ci-dessous.



Ce schéma, tout à fait réalisable, présente néanmoins de sérieux inconvénients :
  • La transformation finale d’énergie thermique en énergie électrique est soumise au principe de Carnot-Clausius, c’est-à-dire à un rendement d’autant plus médiocre que la « source chaude » ne l’est pas assez.
  • Or, dans la plupart des cas, l’énergie électrique amont provient d’énergie thermique (nucléaire, fossile…) qui a été convertie en énergie mécanique, puis électrique par une transformation déjà  régie par le principe de Carnot-Clausius qui s’appliquerait ainsi deux fois, et déboucherait donc sur des rendements inacceptables de l’ordre de 14% par rapport aux énergies primaires.
  • Et ce résultat déplorable serait obtenu par deux centrales électriques travaillant en série et additionnant leurs coûts, pour parvenir  un coût extravagant de l’énergie électrique restituée, à savoir 7 fois (=1/14%) le coût de l’énergie primaire, plus le coût du stockage et deux fois le coût de production…
Inutile d’insister : ce schéma n’est pas, et ne sera jamais utilisé. 

Mais il connaît deux substituts qui contournent les écueils ci-dessus, le stockage thermique amont, d’intérêt limité, et surtout le stockage thermique aval, très courant et tout à fait pertinent, décrits ci-dessous.

Stockage thermique aval pour utilisation directe

Le stockage thermique aval consiste à utiliser de l’énergie électrique en heures creuses pour chauffer de l’eau ou toute autre matière de chaleur latente  ou sensible  suffisante en vue de la restituer sous forme de chaleur. Ce stockage est très courant, et peut même être involontaire. Citons, par sophistication croissante :
  • L’inertie thermique naturelle d’une caverne, d’une habitation troglodyte ou d’une vieille bâtisse aux murs très épais, assure un lissage des variations diurnes de la température extérieure. La masse assure à la fois un stockage important et une très relative isolation.
  • L’isolation thermique extérieure, rare en France, sinon dans les locaux d’activité, mais courante en Europe du Nord, agit de la même manière, mais a été optimisée en séparant clairement l’isolation extérieure et le stockage dans la structure intérieure.
  • Le stockage d’eau chaude dans un ballon classique, le plus souvent à chauffage électrique, mais aussi à chauffage par panneaux solaires thermiques, notamment dans le midi et dans les DOM-TOM, permet une utilisation différée. Il est utilisé dans les radiateurs électriques intelligents Lancey.
  • Le chauffage par résistances placées dans un matériau pondéreux et de chaleur spécifique élevée, le plus souvent des briques réfractaires, permet un chauffage quasi-continu avec une alimentation discontinue, évidemment sans miracle énergétique : l’énergie restituée est la moyenne de l’énergie absorbée, contrairement à ce que certaines publicités pourraient laisser croire ! On utilise ici la chaleur sensible, c’est-à-dire liée à une variation de température.
  • Le stockage de chaleur à basse température, quelle qu’en soit l’origine, par des sels fondus qui l’absorbent sous forme de chaleur latente. On utilise à cet effet des combinaisons chimiques choisies en fonction de leur point de fusion, qui doit être d’au moins 40°C mais pas trop élevée, tels que l’acide dodécanoïque (42°C) et l’acétate trihydrate de sodium (57°C).
  • Enfin, on voit néanmoins apparaître des matériaux à changement de phase (MCP) dont la température de fusion/solidification est aux alentours de  21°C : ils restituent de la chaleur latente si leur température dépasse 21°C, et en absorbent en dessous de cette température, dans la limite de leur masse fusible. 
    • Installés en quantité suffisante dans une pièce bien isolée, ils constituent une climatisation passive, qui ne consomme rien, mais qui ne fonctionne que si les températures extrêmes quotidiennes sont équilibrées de part et d’autre de leur température de fusion. 
    • Utilisés en complément d’apports thermiques, ils peuvent filtrer les variations quotidiennes de température, et donc différer l’utilisation des compléments thermiques au moment opportun.





Mais tous ces exemples, au demeurant  tout à fait pertinents, ne constituent en rien un mode de stockage de l’énergie électrique, puisqu’ils ne restituent pas d’énergie électrique, mais seulement de la chaleur à une température trop basse pour pouvoir être transformée en énergie mécanique selon le principe de Carnot-Clausius. Ils tirent leur pertinence du fait qu’ils permettent d’absorber de l’énergie (électrique, solaire thermique, ou autre), quand elle est disponible dans de bonnes conditions (faible demande sur le réseau électrique, soleil en journée, etc.) pour la restituer sous la forme thermique à laquelle elle était destinée, lorsqu’on en a besoin (chauffage en heures de pointe, eau chaude sanitaire, etc.).


Stockage thermique amont pour production électrique

Ce scénario, théoriquement possible, consisterait à stocker la chaleur résultant de la source d’énergie primaire intermittente, solaire thermique par exemple, ou d’origine électrique excédentaire en heures creuses, pour la restituer en la convertissant en électricité pendant les heures de pointe. Bien entendu, cette conversion est soumise au principe de Carnot-Clausius, exactement comme si la chaleur avait été utilisée dès da production.

Circonstance aggravante, le stockage suppose un premier transfert de chaleur depuis l’énergie primaire jusqu’au stockage (chaleur latente de sels fondus par exemple) puis un deuxième transfert du stockage vers le fluide thermodynamique (l’eau par exemple), chacun de ces transferts nécessitant une baisse de température. Les inévitables pertes thermiques de stockage se traduiraient par une baisse de température supplémentaire. Il s’en suit que la « source chaude » le serait nettement moins, amenant un rendement de conversion significativement inférieur à celui de production directe à partir de l’énergie primaire.


 Mais surtout, ce scénario manque singulièrement d’objet :
  • Les énergies fatales telles que éolien, photovoltaïque et hydraulique au fil de l’eau produisent de l’énergie électrique directement (photovoltaïque), ou via l’énergie mécanique (éolien et hydraulique au fil de l’eau). Reconvertir cette énergie électrique en chaleur aux fins de stockage serait une absurdité.
  • Les énergies fossiles (charbon, fioul, gaz naturel) sont aisément stockables en l’état, et les convertir en chaleur par anticipation n’aurait strictement aucun sens.
  • L’énergie nucléaire, dont la source chaude l’est un peu moins que celle des énergies fossiles, perdrait donc encore plus à un stockage thermique absorbant la chaleur de l’eau secondaire. Par surcroît, étant généralement disponible en permanence, elle est disponible aussi pendant les pointes.
L’avant-projet pharaonique Desertec, récemment abandonné, comme nous l’avions prévu, reposait sur ce principe. Il portait sur un parc de centrales solaires thermiques situées au Sahara, et destinées à alimenter l’Europe en énergie électrique. Comme les pointes de consommation européennes sont en début ou en fin de nuit, alors qu’une centrale solaire ne fonctionne qu’avec le soleil assez haut sur l’horizon, ses promoteurs envisageaient de résoudre le problème par de vastes stockages thermiques par sels fondus à haute température. On était vraiment en droit de s’interroger sur la pertinence d’un tel projet qui cumulait des difficultés majeures, et dont le but réel pouvait bien être la captation de crédits de recherche en provenance d’Europe !

Plus modestement, Areva cite cette solution pour prolonger en soirée la plage d’utilisation de centrales thermiques solaires par un stockage de chaleur à sels fondus dans deux réservoirs chaud et froid, et réchauffage de la vapeur d’eau par un échangeur sel / eau, selon le schéma ci-dessous :


Quoi qu’il en soit, à proprement parler, ce principe n’est pas non plus, un stockage d’énergie électrique sous forme thermique, puisqu’il n’absorbe pas d’énergie électrique en amont.