mercredi 15 octobre 2014

Air-Energie : Adiabatique ou isotherme




Résumé

Une compression isotherme, c’est-à-dire à température constante, suivie d’une détente isotherme, apporte un bon rendement, mais n’est qu’un modèle théorique, car la compression et la détente rapides de l’air sont naturellement adiabatiques, c’est à dire sans transfert thermique.

Un cycle dit « adiabatique » comporte inévitablement, après compression, un refroidissement au cours du stockage, puis, après détente, un réchauffement par mélange dans l’air ambiant. Son rendement théorique (= énergie mécanique restituée / absorbée pour une machines parfaite) est catastrophique pour des rapports volumétriques  élevés (11% à k=700, ou 18% pour k = 100), médiocre pour des rapports faibles (44% pour k= 3), avec un limite théorique à 55% pour des rapports proches de 1.

Il n’est donc pas envisageable d’utiliser des compresseurs directs pour un stockage énergétique nécessitant une pression élevée. Mais l’utilisation de plusieurs étages de compression avec refroidisseurs intermédiaires, et de plusieurs étages turbines consécutives avec réchauffeurs intermédiaires permet d’améliorer les rendements. C’est l’objet du message suivant.


C’est une évidence : L’air est gratuit, et disponible en quantité illimitée, il ne pollue pas, et rien n’empêche de stocker de l’énergie électrique excédentaire :
  • en la faisant absorber par des compresseurs comprimant l’air ambiant à une pression élevée,
  • puis en stockant l’air ainsi comprimé dans des réservoirs naturels ou construits à cet effet,
  • et enfin en utilisant cet air comprimé pour alimenter des turbines couplées à des alternateurs restituant l’énergie pendant les pointes de consommation.
Mais, comme toute solution, celle-ci doit être évaluée en termes de rendement et de coût. Le présent message porte sur la modélisation de la compression et de la détente, et sur leur rendement.

Adiabatique ou isotherme ? Soyons concrets…

Ces adjectifs ésotériques désignent deux modalités différentes de compression ou de détente des gaz. Supposons qu’une force  extérieure, agissant par l’intermédiaire d’un piston coulissant dans un cylindre (ou par toute autre méthode) soit utilisée pour comprimer une masse d’air donnée. La physique nous enseigne que le travail de cette force extérieure se traduit nécessairement par une élévation de température du gaz comprimé. Dès lors, en sus de toutes les situations intermédiaires, deux cas extrêmes sont possibles :
  • Si la compression est très lente, l’enceinte petite, et ses parois conductrices, cet apport thermique pourra être évacué au fur et à mesure de la compression ; la température n’augmentera donc pratiquement pas, et cette compression est alors qualifiée « d’isotherme », c’est-à-dire à température constante.
  • Si la compression est rapide, ou si les parois de l’enceinte de grand volume sont peu conductrices, l’échauffement de l’air en cours de compression a pour effet d’augmenter sa pression, et donc de rendre la compression plus difficile : elle nécessitera plus d’énergie. Elle est dite « adiabatique », c’est-à-dire sans transfert de chaleur à travers les parois.
  • S’il s’agit d’une détente adiabatique, le phénomène est exactement le même, au signe près : le gaz se refroidit, sa pression baisse, et sa détente produit moins d’énergie mécanique.
 Les exemples de compressions adiabatiques sont très nombreux :
  • La compression de l’air dans le cylindre d’un moteur diesel avec un rapport volumétrique autour de 20 aboutit à une température suffisamment élevée pour provoquer l’inflammation spontanée du gazole qui lui est mélangé. C’est l’autoallumage, qui était aussi autrefois un défaut apparaissant parfois sur les moteurs à essence, alors qualifié de cliquetis.
  • En cours d’utilisation, une pompe à vélo chauffe, surtout en bas, là où la pression est la plus élevée.
  • Le compresseur d’un groupe d’air comprimé d’atelier, malgré son refroidissement par les ailettes du ou des cylindres, est brûlant pendant son fonctionnement bien que l’air aspiré soit à la température ambiante.
Tous les cas intermédiaires entre l’isotherme et l’adiabatique sont évidemment possibles. Toutefois, quand des puissances importantes sont en jeu, ce qui est le cas pour du stockage d’énergie de réseau, les flux thermiques permettant le refroidissement sont faibles et lents par rapport aux puissances en jeu : le fonctionnement du compresseur sera inévitablement très proche de l’adiabatique.

En matière de stockage d’énergie par l’air comprimé, cet échauffement à la compression, suivi d’un refroidissement à la détente est un grave inconvénient, car il n’est pas envisageable de stocker, pendant une demi-journée ou beaucoup plus, de l’air comprimé chaud dans un réservoir sans qu’il ne se refroidisse.

Des diagrammes où l’on voit les différences

Notations et unités :
Nous utiliserons ci-dessous des variables « réduites » c’est-à-dire sans dimension, basées sur les unités suivantes:
  • L’unité de pression est P0, de préférence la pression atmosphérique (≈100 Kp).
  • L’unité de volume est V0,  le volume d’air objet du diagramme, par exemple 1 m3.
  • L’unité de température est T0, de préférence  la température ambiante, 293,2 °K = 20°C par exemple
  • L’unité d’énergie est P0 V. Ainsi, dans le diagramme Pression vs. Volume ci-dessous, 20 petits carreaux = 2 grands carreaux = P0 V0 = 100 Kj.
  • γ = Cp/Cv, rapport des chaleurs spécifiques des gaz parfaits, soit 1,402 pour l’air
  • k est le rapport volumétrique de compression


Toutes les formules ci-dessous expriment des relations entre des paramètres sans dimension qui sont :
K, γ, P/P0, V = V/V0, T/T0, E/(P0 V0)

Le diagramme Pression vs. Volume ci-dessous, dit de « Clapeyron », qui met en jeu une compression et  une détente dans des machines idéales de rendement 100%, porte sur une quantité déterminée de l’air à 293,2°K (20°C) comprimé, puis détendu selon un rapport volumétrique k, (ici k =27), et ce dans deux cas, adiabatique ou isotherme.
Par convention, nous appellerons ci-dessous « cycle adiabatique » un cycle composé d’une compression et d’une détente adiabatiques, sans oublier que dans ce cycle, le refroidissement après compression et le réchauffement après détente, sont inévitables, mais ne sont pas adiabatiques.

Son allure générale rappelle celle, archi-connue, d’un cycle de moteur à combustion interne, mais cette analogie est très limitée :
  • Le cycle d’un moteur est parcouru dans le sens des aiguilles d’une montre, car son aire est proportionnelle à l’énergie mécanique produite, alors que le cycle adiabatique est parcouru dans le sens inverse, car son aire  est proportionnelle à l’énergie mécanique transformée en chaleur, et donc non restituée.
  • Le haut d’un cycle moteur est une verticale (augmentation de pression à volume constant, due à l’élévation de température résultant de la combustion du carburant), alors que le haut du cycle adiabatique comporte une horizontale (baisse de volume par refroidissement inévitable, à pression constante)
  • La détente d’un moteur thermique se produit 5 à 20 millisecondes après la compression, alors qu’en stockage, plusieurs heures les sépareront.
  • La détente et la compression d’un moteur thermique ont lieu dans la même machine, alors qu’en stockage, elles sont séparées par ce stockage, et réalisées par deux machines dédiées qui ne fonctionneront pas en même temps.





Isotherme, en bleu

0 à Compression isotherme à P à Détente isotherme à  0

  • La courbe 0P ou P0 est la même quel que soit le sens de parcours.
  • L’aire contenue dans le cycle 0P0 est nulle : pas de pertes.
  • La surface du triangle curviligne 0PH, sous la courbe bleue c’est à dire l’aire verte + la partie inférieure de l’aire jaune, est à la fois :
    • l’énergie absorbée par la compression,
    • l’énergie restituée par la détente,
    • l’énergie en stock.

Le rendement théorique est donc de 100%.

Adiabatique, en rouge

0 à Compression adiabatique à C à Refroidissement à pression constante à P
P à Détente adiabatique à D à Réchauffement à pression constante à 0

  • L’aire jaune supérieure  comprise entre la courbe de compression adiabatique 0C et l’isotherme 0P est la perte par compression ; c’est l’énergie mécanique absorbée par la compression et non mise en stock, car dissipée en chaleur.
  • L’aire jaune inférieure  comprise entre l’isotherme et la courbe de détente adiabatique BD0 est la perte par détente ; c’est l’énergie tirée du stock et non restituée sous forme mécanique, car dissipée ne chaleur.
  • L’aire verte comprises entre la courbes de détente PD et l’horizontale HD (ordonnée P/P0 =1), est l’énergie restituée par la détente.
  • L’aire jaune totale située à l’intérieur du polygone curviligne 0CPD0 est l’énergie perdue par le cycle adiabatique après refroidissement CP et réchauffement D0.

Dans l’exemple proposé (facteur k=27) on voit que le total des aires jaunes est environ trois fois supérieur à l’aire verte, ce qui rend visible un rendement théorique de l’ordre de 26%.

Dans le diagramme Température vs. Volume ci-dessous, qui utilise les mêmes abscisses en volume réduit que le précédent, la température isotherme est constante par définition.

En adiabatique, la compression 0C provoque un échauffement important (751 °K = 458 °C) en raison duquel l’augmentation de  pression atteint le facteur 27 bien avant que le volume soit réduit du même facteur 27. Mais le refroidissement  CP permet de retrouver le point P de l’isotherme, et donc le ratio 27 sur le volume. Inversement, la détente PD refroidit l’air (114 °K = -179 °C), ce qui réduit la pression dans un facteur 27 bien avant d’avoir retrouvé le volume initial, mais le réchauffement D0 lui fait retrouver la température initiale et le volume initial.



Quantifions les énergies

Isotherme

Ce cas est simple. L’énergie en stock ES, ou l’aire comprise sous l’isotherme bleue après compression, exprimée en unité réduites (E/P0V0),  est théoriquement égale à l’énergie mécanique absorbée par le compresseur, et à l’énergie restituée par la turbine. Il n’y a pas de théoriquement pas de pertes, les rendements étant en conséquence de 100%.

Dans la formule ci-dessous :
  • Le  1er terme est la primitive de P=1/V
  • Le 2ème terme est le travail de la pression atmosphérique sur la variation de volume.

ES = Log(k) – (1+1/k)
Pour k=27 : Es = 2,33

Remarquons au passage que, pour une masse d’air donnée, l’énergie en stock n’est pas proportionnelle à la pression, amis seulement au logarithme du rapport des pressions, à la pression atmosphérique près, souvent négligeable. Mais ne perdons pas de vue non plus que pour un volume de stockage donné (réservoir par exemple), la masse est proportionnelle à la pression.

Malheureusement, ce modèle est impossible. Tout au plus pourra-t-on tenter de s’en rapprocher, comme nous le verrons dans le message suivant: compresseurs et tirbines à étages

Adiabatique

Ce cas est compliqué. L’auteur reconnaît y avoir passé beaucoup plus de temps que prévu !

Les deux tableaux ci-dessous résument les variations de V, P, T et les transferts d’énergie au cours d’un cycle adiabatique fermé 0CPD0. Celui du haut donne les valeurs littérales, et celui du bas les valeurs numériques pour K = 27.



Il appelle les remarques suivantes, de portée générale, mais les valeurs numériques (en valeur réduite) sont valides uniquement pour k = 27 :
  • L’énergie mécanique absorbée par le compresseur est de 4,522
  • L’énergie restituée par la turbine est de 1,169 en valeur absolue
  • Donc le rendement est de 1,169 /4,522 = 25,9%, déjà cité plus haut, très médiocre
  • La chaleur évacuée pour le refroidissement à pression constante CP est de -5,484, c’est-à-dire 470 % de l’énergie restituée : les transferts d’énergie thermique sont largement supérieurs aux transferts d’énergie mécanique.
  • La chaleur reçue pour le réchauffement à pression constante est de 2,132, supérieure à l’énergie mécanique restituée.
  • Les chaleurs évacuées et reçues ne se compensent pas, car elles ne sont pas simultanées, mais elles elles peuvent être transférées par le même échangeur.
  • Les sommes des lignes sont conformes à la réalité physique :
    • L’énergie mécanique absorbée étant largement supérieure à l’énergie restituée fournie, la somme est positive (3,352).
    • Le travail de la pression atmosphère considéré comme une force extérieur est évidemment nul pour le cycle fermé.
  • L’énergie thermique de refroidissement après étant largement supérieure à l’énergie de réchauffement après détente, la somme est négative (-3 ,352).
  • Le cycle étant fermé, la somme algébrique des transferts d’énergie (énergie mécanique ou calorifique) est nulle (3,352 – 3,352 = 0).


Les formules ci-dessus permettent aisément de construire le graphe du rendement η en fonction du rapport volumétrique k. Les graphes ci-dessous sont identiques sauf pour les abscisses, dont l’une est logarithmique.



On y constate immédiatement qu’un cycle adiabatique direct, sans refroidissement intermédiaire, conduit, pour des pressions élevées, à un rendement théorique catastrophique, par exemple 11% pour k = 700 (de 1 bar à 700 bars) et 18% pour k = 100. Il faut redescendre à des ratios k de l’ordre de 3 à 5 pour obtenir un rendement qui reste médiocre de 63% à 72%.

Notons aussi que ce rendement a une limite maximum théorique de 1/(2γ-1) = 55% quand k tend vers 1 (compression très faible).

On peut en déduire immédiatement que le stockage d’énergie par compression adiabatique directe, stockage, puis détente directe n’est pas viable pour cause de rendement catastrophique.

Il est nécessaire de se rapprocher de l’isotherme, à défaut de pouvoir l’atteindre, en procédant à plusieurs  compressions successives, chacune étant suivie d’un refroidissement, et, après stockage, à plusieurs détentes successives, chacune étant suivie d’un réchauffement. Ces compresseurs et turbines à étage sont l’objet de notre message suivant : Compresseurs et turbines à étages