jeudi 18 juillet 2013

La Taxe Carbone : 2 - Application à la France

LA TAXE CARBONE : 2 – Application à la France



Eliminons d’abord la question de la déforestation : elle ne concerne pas la France dont la couverture forestière ne cesse de croître, comme en témoigne la carte ci-dessous issue de l’IGN. En dépit de l'urbanisation et des infrastructures, aucune région n’est en régression, toutes croissent, trois d’entre-elles de plus de 50%, depuis 1959. La raison principale en est l’abandon de nombreuses surfaces cultivables médiocres.


Le problème se situe au niveau des émissions. La dernière situation connue est l’année 2011, pour laquelle nous avons établi un synoptique de l’énergie en France, sans doute un peu dense, mais qui a le mérite de visualiser en une page tous les éléments importants avec leurs ordres de grandeur relatifs.



Energies primaires fossiles 2011

Toutes les énergies primaires sources de carbone sont réunies sous l’accolade « fossiles » en haut à gauche. Elles atteignent 128 MTEP. Toutes émettent des quantités massives de CO2 mais inégalement, comme le montrent les secteurs ci-dessous (ici 2010), respectivement en MTEP (énergie utile) en MT CO2 (émission nuisible) :


Si on attribue le qualificatif de « médiocre » au pétrole, alors le charbon est « très mauvais », et le gaz peut être qualifié de « moindre mal », mais pas de « vert ». Première conclusion : chaque fois que la substitution est possible, il faut préférer le gaz, à défaut le pétrole, et ne garder le charbon que si on ne peut pas l’éviter, ce qui est par exemple le cas du coke sidérurgique pour obtenir la fonte à partir du minerai de fer (5 MTEP). Le charbon est substituable dans ses applications thermiques, mais il y a un coût : le charbon est l’énergie fossile la moins chère, et aussi celle dont les ressources sont les plus abondantes, ce qui fera croître encore sa compétitivité. Le gaz naturel convient bien à toutes les applications thermiques, mais pas aux véhicules, car on ne peut pas le stocker facilement à l’état liquide. Attention : le GPL, aisément liquéfiable à température ambiante, est classé « pétrole » selon l’INSEE.

Un gain par substitution est donc possible au niveau des énergies primaires, mais il est limité, et il a un coût.

Energies finales : Résidentiel et tertiaire

Les applications résidentielles et tertiaires (bâtiments d’habitations, de bureaux, hôpitaux…) consomment près de 60 MTEP pour les seules applications de chauffage et d’eau chaude, auxquelles toutes les formes d’énergie primaire concourent : fioul, gaz naturel de réseau, GPL de citernes, biomasse (bois), solaire thermique, électricité, géothermie, pompes à chaleur. Elles sont pour la plupart assez faciles à substituer.

Parmi elles, l’électricité présente des particularités :
  • selon son mode de production, elle peut être exempte de CO2 (nucléaire, hydraulique, biomasse) ou au contraire chargée de CO2 (centrales thermiques, particulièrement au charbon),
  • le recours aux modes de production chargés de CO2, dont le coût marginal est le plus élevé,  se produit lorsque les autres moyens sont saturés ou indisponibles,
  • il s’en suit que le raisonnement en moyenne n’a pas de sens : l’énergie électrique est :
    • chargée en CO2, jusqu’à environ 50% de sa production lors des pointes de consommation assurées par les centrales thermiques, et selon les régions (Bretagne et PACA dépourvues de centrale nucléaire)
    • mais exempte la plus grande partie du temps et des lieux.
  • Pour réduire les émissions, il y a donc lieu de reporter toutes les consommations qui peuvent l’être (eau chaude, certaines activités industrielles, demain recharge de véhicules électriques) en dehors des périodes de pointe, ou de dissuader les consommations non indispensables grâce à une tarification et/ou une taxation appropriées.
Des réductions considérables peuvent aussi être faites par une meilleure efficacité énergétique. Voir à ce sujet le message « Négawatts ». Citons à titre d’exemples :
  • l’isolation des bâtiments : murs, portes, fenêtres, toits, VMC à double flux...
  • la modification de nombreux chauffages collectifs anciens  pour permettre la facturation des consommations individuelles réelles, en remplacement de leur répartition selon les millièmes de copropriété,
  • les pompes à chaleur dans les bâtiments neufs, notamment les pavillons individuels
  • les chauffages biénergie qui permettent de saturer les moyens de production exempts de CO2 en demi-saison ou plus, économisant autant de gaz ou de fioul.
Energies finales : Transports

Les applications aux transports routiers et aériens, exclusivement consommateurs de pétrole, se caractérisent à la fois par :
·    un rendement médiocre, dû à la fois au principe de Carnot-Clausius et aux mauvaises conditions d’utilisation des moteurs routiers à vitesse et couple très variables,
·        une extrême difficulté à substituer une autre énergie : les carburants actuels, liquides aux conditions usuelles de température et de pression, avec une densité énergétique de 44 MJ/kg, sont imbattables !

Dans l’état actuel des technologies des moteurs thermiques, des batteries et des piles à combustible, la voiture électrique, considérée hors taxes et subventions, est très loin d’être compétitive, principalement en raison des coûts élevés et des performances insuffisantes des batteries. Il faudrait une augmentation considérable du prix du pétrole pour qu’elle le devienne, et cette voiture électrique n’a de sens que si la production électrique supplémentaire ne fait appel ni au pétrole ou au gaz (rareté et CO2), ni au charbon (CO2).

Une importante évolution est quand même possible :
·    A court et moyen terme, par la réduction de la consommation des véhicules à moteur thermique par de nombreux procédés connus mais pas assez appliqués en raison de leurs coûts (sophistication des moteurs et des transmissions, hybridation) ou de leurs inconvénients commerciaux. Une division par 2 de la consommation actuelle est envisageable, mais avec un impact important sur le prix de revient et les caractéristiques (section et masse à réduire) du véhicule.
·      A plus long terme, par la mise en place d’infrastructures réduisant les inconvénients et les coûts liés aux batteries, maillon faible du véhicule électrique, et parmi elles l’électrification d’autoroutes permettant simultanément la propulsion des véhicules électriques et la recharge de leurs batteries par trolley.

Les applications pour lesquelles les produits pétroliers sont les plus difficiles à remplacer sont :
·    La pétrochimie (plastiques, fibres textiles, résines, solvants, lubrifiants, produits organiques de synthèse…), qui, par nature, ne dispose d’aucune alternative,
·   Les transports aériens, encore plus critiques que l’automobile. On peut envisager l’hydrogène liquide, très contraignant, ou plutôt les carburants biologiques.

Par quoi commencer ?

Le paragraphe précédent a brossé une peinture rapide de l’extrême complexité d’un problème qui évolue avec les prix des énergies primaires, avec de multiples solutions concurrentes ayant chacune ses avantages et ses inconvénients. Les choix sont difficiles, et peuvent à chaque instant être remis en cause.

C’est pourtant un enjeu stratégique majeur pour notre pays d’anticiper ce changement énergétique en réduisant nos émissions de CO2 sans perdre de compétitivité.

La méthode très française qui consiste à faire un choix technocratique des solutions, puis à leur apporter à coups de subventions des compétitivités artificielles qui sont obtenues au détriment de la compétitivité de ceux qui payent les subventions, est vouée à l’échec : elle a donné le plan calcul, le paquebot France, le Concorde, les excédents agricoles, le Rafale, le char Leclerc, et tant d’autres catastrophes économiques présentées comme des succès techniques.

Il existe pourtant une méthode neutre pour promouvoir la nécessaire réduction des émissions de CO2 : la taxe « carbone », ciblée exactement sur son objet, dont les modalités doivent être telles qu’elle dissuade, en la taxant, l’utilisation des énergies fossiles, et ce :
  • sans faire un choix a priori entre les solutions incertaines de remplacement
  • sans obérer la compétitivité des entreprises françaises à l’exportation
  • sans augmenter la pression fiscale, en la compensant par une baisse de la TVA
Il appartiendra évidemment à l’Etat d’en fixer le taux, qui devra au début être bas, puis croître progressivement par petits incréments selon un barème annoncé préalablement et respecté, afin d’éviter les ruptures qui pénalisent toujours l’économie et ruinent la confiance des acteurs économiques.

Elle fait l’objet des deux messages suivants 3 et 4 du présent blog.