LA TAXE CARBONE : 2 – Application à la France
Plan du chapitre « La taxe carbone »
Eliminons d’abord la question de la déforestation : elle ne concerne
pas la France dont la couverture forestière ne cesse de croître, comme en
témoigne la carte ci-dessous issue de l’IGN. En dépit de l'urbanisation et des infrastructures, aucune région n’est en régression,
toutes croissent, trois d’entre-elles de plus de 50%, depuis 1959. La raison principale
en est l’abandon de nombreuses surfaces cultivables médiocres.
Le problème se situe au niveau des
émissions. La dernière situation connue est l’année 2011, pour laquelle nous
avons établi un synoptique de
l’énergie en France, sans doute un peu dense, mais qui a le mérite de visualiser en une page tous les éléments importants avec leurs ordres de grandeur
relatifs.
Energies primaires fossiles 2011
Toutes les énergies primaires
sources de carbone sont réunies sous l’accolade « fossiles » en haut
à gauche. Elles atteignent 128 MTEP. Toutes émettent des quantités massives de
CO2 mais inégalement, comme le montrent les secteurs ci-dessous (ici 2010),
respectivement en MTEP (énergie utile) en MT CO2 (émission
nuisible) :
Si on attribue le qualificatif de
« médiocre » au pétrole,
alors le charbon est « très mauvais »,
et le gaz peut être qualifié de « moindre
mal », mais pas de « vert ». Première conclusion :
chaque fois que la substitution est possible, il faut préférer le gaz, à défaut
le pétrole, et ne garder le charbon que si on ne peut pas l’éviter, ce qui est par
exemple le cas du coke sidérurgique pour obtenir la fonte à partir du minerai
de fer (5 MTEP). Le charbon est substituable dans ses applications thermiques,
mais il y a un coût : le charbon est l’énergie fossile la moins chère, et
aussi celle dont les ressources sont les plus abondantes, ce qui fera croître encore
sa compétitivité. Le gaz naturel convient bien à toutes les applications
thermiques, mais pas aux véhicules, car on ne peut pas le stocker facilement à
l’état liquide. Attention : le GPL, aisément liquéfiable à température ambiante, est classé
« pétrole » selon l’INSEE.
Un
gain par substitution est donc possible au niveau des énergies primaires, mais
il est limité, et il a un coût.
Energies finales : Résidentiel et tertiaire
Les applications résidentielles et
tertiaires (bâtiments d’habitations, de bureaux, hôpitaux…) consomment près de
60 MTEP pour les seules applications de chauffage et d’eau chaude, auxquelles
toutes les formes d’énergie primaire concourent : fioul, gaz naturel de
réseau, GPL de citernes, biomasse (bois), solaire thermique, électricité,
géothermie, pompes à chaleur. Elles sont pour la plupart assez faciles à
substituer.
Parmi elles, l’électricité présente
des particularités :
- selon son mode de production, elle peut être exempte de CO2 (nucléaire, hydraulique, biomasse) ou au contraire chargée de CO2 (centrales thermiques, particulièrement au charbon),
- le recours aux modes de production chargés de CO2, dont le coût marginal est le plus élevé, se produit lorsque les autres moyens sont saturés ou indisponibles,
- il s’en suit que le raisonnement en moyenne n’a pas de sens : l’énergie électrique est :
- chargée en CO2, jusqu’à environ 50% de sa production lors des pointes de consommation assurées par les centrales thermiques, et selon les régions (Bretagne et PACA dépourvues de centrale nucléaire)
- mais exempte la plus grande partie du temps et des lieux.
- Pour réduire les émissions, il y a donc lieu de reporter toutes les consommations qui peuvent l’être (eau chaude, certaines activités industrielles, demain recharge de véhicules électriques) en dehors des périodes de pointe, ou de dissuader les consommations non indispensables grâce à une tarification et/ou une taxation appropriées.
Des réductions considérables peuvent
aussi être faites par une meilleure efficacité énergétique. Voir à ce sujet le
message « Négawatts ».
Citons à titre d’exemples :
- l’isolation des bâtiments : murs, portes, fenêtres, toits, VMC à double flux...
- la modification de nombreux chauffages collectifs anciens pour permettre la facturation des consommations individuelles réelles, en remplacement de leur répartition selon les millièmes de copropriété,
- les pompes à chaleur dans les bâtiments neufs, notamment les pavillons individuels
- les chauffages biénergie qui permettent de saturer les moyens de production exempts de CO2 en demi-saison ou plus, économisant autant de gaz ou de fioul.
Energies finales : Transports
Les applications aux transports
routiers et aériens, exclusivement consommateurs de pétrole, se caractérisent à
la fois par :
· un rendement médiocre, dû à la fois au principe
de Carnot-Clausius et aux mauvaises conditions d’utilisation des moteurs
routiers à vitesse et couple très variables,
·
une extrême difficulté à substituer une autre
énergie : les carburants actuels, liquides
aux conditions usuelles de température et de pression, avec une densité énergétique de 44 MJ/kg, sont imbattables !
Dans l’état actuel des technologies
des moteurs thermiques, des batteries et des piles à combustible, la voiture
électrique, considérée hors taxes et subventions, est très
loin d’être compétitive, principalement en raison des coûts élevés et des
performances insuffisantes des batteries. Il faudrait une augmentation
considérable du prix du pétrole pour qu’elle le devienne, et cette voiture
électrique n’a de sens que si la production électrique supplémentaire ne fait
appel ni au pétrole ou au gaz (rareté et CO2), ni au charbon (CO2).
Une importante évolution est quand
même possible :
· A court et moyen terme, par la réduction de la
consommation des véhicules à moteur thermique par de nombreux procédés connus
mais pas assez appliqués en raison de leurs coûts (sophistication
des moteurs et des transmissions, hybridation)
ou de leurs inconvénients commerciaux. Une division par 2 de la consommation
actuelle est envisageable, mais avec un impact important sur le prix de revient
et les caractéristiques (section et masse à réduire) du véhicule.
· A plus long terme, par la mise en place
d’infrastructures réduisant les inconvénients et les coûts liés aux batteries,
maillon faible du véhicule électrique, et parmi elles l’électrification
d’autoroutes permettant simultanément la propulsion des véhicules
électriques et la recharge de leurs batteries par trolley.
Les applications pour lesquelles les
produits pétroliers sont les plus difficiles à remplacer sont :
· La pétrochimie
(plastiques, fibres textiles, résines, solvants, lubrifiants, produits
organiques de synthèse…), qui, par nature, ne dispose d’aucune alternative,
· Les transports
aériens, encore plus critiques que l’automobile. On peut envisager
l’hydrogène liquide, très contraignant, ou plutôt les carburants biologiques.
Par quoi commencer ?
Le paragraphe précédent a brossé une
peinture rapide de l’extrême complexité d’un problème qui évolue avec les prix
des énergies primaires, avec de multiples solutions concurrentes ayant chacune
ses avantages et ses inconvénients. Les choix sont difficiles, et peuvent à
chaque instant être remis en cause.
C’est pourtant un enjeu stratégique
majeur pour notre pays d’anticiper ce changement énergétique en réduisant nos
émissions de CO2 sans perdre de compétitivité.
La méthode très française qui
consiste à faire un choix technocratique des solutions, puis à leur apporter à
coups de subventions des compétitivités artificielles qui sont obtenues au
détriment de la compétitivité de ceux qui payent les subventions, est vouée à
l’échec : elle a donné le plan calcul, le paquebot France, le Concorde,
les excédents agricoles, le Rafale, le char Leclerc, et tant d’autres
catastrophes économiques présentées comme des succès techniques.
Il existe pourtant une méthode
neutre pour promouvoir la nécessaire réduction des émissions de CO2 : la taxe « carbone », ciblée
exactement sur son objet, dont les modalités doivent être telles qu’elle
dissuade, en la taxant, l’utilisation des énergies fossiles, et ce :
- sans faire un choix a priori entre les solutions incertaines de remplacement
- sans obérer la compétitivité des entreprises françaises à l’exportation
- sans augmenter la pression fiscale, en la compensant par une baisse de la TVA
Il appartiendra évidemment à l’Etat
d’en fixer le taux, qui devra au début être bas, puis croître progressivement par
petits incréments selon un barème annoncé préalablement et respecté, afin d’éviter
les ruptures qui pénalisent toujours l’économie et ruinent la confiance des
acteurs économiques.
Elle fait l’objet des deux messages
suivants 3 et 4 du présent blog.
Plan du chapitre « La taxe carbone »