samedi 11 février 2012

Enseignements du rapport de la Cour des Comptes



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Abréviations : K= milliers, M= Millions, G=milliards, T=Trillions)
Numérotation des paragraphes du rapport : Partie.Page - Titre



Les enseignements du rapport de la Cour des Comptes sont uniquement d’ordre économique, puisque les domaines tels que l’environnement, la radioprotection ou l’indépendance énergétique ne sont pas abordés et ne relèvent pas de la Cour. Nous nous limiterons donc ci-dessous à l’économie.

Le coût complet du MWh nucléaire ressort du simple au double, selon les cas et méthodes d’évaluation :
  • constaté par la comptabilité d’EDF :                                                     33 €/Mwh.
  • projeté sur les 15 prochaines années sur la base du parc actuel :         33 €/Mwh
  • dans l’hypothèse d’un loyer constant des installations actuelles :        50 €/Mwh
  • prévu pour l’EPR tête de série :                                                              80 €/Mwh
  • prévu pour les EPR suite de série :                                                         70 €/Mwh
Ces coûts sont plus élevés que l’estimation antérieure, en raison:
  • principalement des coûts de renforcement de la sûreté post-Fukushima,
  • mais aussi de la réévaluation des coûts ultimes : démantèlement et stockage géologique.
Rappelons qu’ils intègrent tous les frais, coûts et investissements passés, actuels, et à venir. Ils assurent non seulement le renouvellement du capital (amortissements), mais aussi sa rémunération (bénéfice). Compte tenu de la très longue durée de vie, il n’est pas surprenant que le coût dépende lourdement du mode de financement.

Traitons séparément les cas :
  • du parc actuel de réacteurs
  • de Flamanville dont la mise en service est prévue en 2016
  • des EPR suite de série pouvant être lancés ultérieurement
Parc actuel de réacteurs

Hors exploitation, il a amené, ou amènera, selon la Cour, les investissements suivants :
  • Investissement cumulé (1.7) :                                      121 G€
  • Coût de démantèlement prévu (1.9) :                           18,4 G€
  • Couts de stockage géologique (1.10) :                         26 G€ (moyenne des devis ANDRA)
  • Investissements de maintenance (1.10) :                       55 G€
Les 3 premières lignes, soit 165 G€ bruts, seront de toutes façons dépensées, quelle que soit la décision d’arrêter, de poursuivre l’exploitation jusqu’à 40 ans, ou de prolonger si possible la durée des réacteurs au-delà de ces 40 ans.
Seule la dernière ligne de 55 G€, qui pourrait être évitée par un arrêt à très court terme, est donc à prendre en compte dans la décision.

L’exploitation est explicitée (1.18) : 22 €/MWh.
Ceci est à nouveau un coût complet avant amortissement. Il comporte des frais fixes : Directions centrales, (872 M€), et une taxe spécifique (1 176 M€) qui ne sera plus payée si la production   s’arrête, et s’apparente donc à un bénéfice au profit de l’Etat, et non à un coût. L’élimination de ces deux composantes ramène ce coût variable à 17 €/MWh.

Par rapport à l’arrêt, la poursuite de l’exploitation :
  • amènera à dépenser 55 G€ de mise à niveau de sûreté  sur 15 ans
  • produira 408 TWh par an pendant 15 ans pour un coût de 17€/MWh, soit 104 G€.
  • le coût total sera donc 55 G€ + 104 G€ = 159 G€
  • la production sera de 408 TWh/an x 15 ans = 6 120 TWh
  • le coût unitaire réel sera 159 000 / 6120  = 26 €/MWh
Malgré la prise en compte des investissements post-Fukushima, aucune source d’énergie ne peut offrir un coût aussi bas, et de loin! Il serait donc économiquement absurde d’arrêter cette filière au profit d’une autre à créer, au motif que les frais d’investissement et ultimes sont trop élevés, parce qu’ils sont de toutes façons inéluctables.

Flamanville

Ce réacteur, prévu pour une durée de vie de 50 ans, est à un stade avancé de sa construction. L’hypothèse selon laquelle 90% de ses coûts d’étude et de construction ont déjà été dépensés, ou ont au moins été engagés sans possibilité de dédit, est raisonnable. Sur un coût total probable de 6 G€, il s’en suit que son abandon immédiat ne permettrait d’économiser qu’environ 0,6 G€.
Ci-dessous, image de cet ERP achevé sur photo, d’origine EDF.


La Cour apprécie le coût de démantèlement du parc actuel à 18,4 G€, à rapporter à l’investissement correspondant de 121 G€, soit 15%.
Utilisant le même ratio faute de mieux, le coût du démantèlement de Flamanville après utilisation serait de l’ordre de 90 M€. Une durée de vie de 50 ans, avec un coefficient d’actualisation de 5% par an, introduit un coefficient global de (1-5%)50 =0,08. Le coût actuel du démantèlement futur est donc de 7 M€.
Un abandon immédiat du réacteur avant mise en service réduirait (de moitié, soit 45 M€ ? des trois quarts soit 22 M€ ? des 9/10èmes, soit 9 M€ ?) le coût de démantèlement car non radioactif, mais rendrait celui-ci immédiat. Il n’y a donc aucune économie à en attendre.

La Cour cite les devis ANDRA relatifs au stockage géologique pour le parc actuel. Il ressort, sur la base de la moyenne des devis ANDRA, à 23 + 26 = 49M€, rapportés à l’investissement de 121 M€, à 40%. L’application de ce ratio à l’EPR, plus cher car plus compliqué et plus sûr, mais qui ne produit pas plus de déchets, est très pessimiste. Faisons là néanmoins. Elle aboutit à un coût futur du stockage géologique de 6 G€ x 40% = 2,4 G€. Après actualisation comme ci-dessus sur 50 ans, ce montant est ramené à 0,2 G€. Ce montant serait entièrement économisé si le réacteur n’est pas mis en service.

Récapitulons, comme pour le parc actuel, le surcoût de l’achèvement et utilisation pendant 50 ans par rapport à l’abandon avant mise en service :
  • Investissement : 0,6 G€
  • Démantèlement : 0 G€
  • Stockage géologique : 0,2 G€
  • Coût d’exploitation supposé identique au parc actuel : 22 €/MWh
  • Production sur 50 ans à 75% de puissance nominale :1600 MW x 86400 x 50 x 75% = 5 184 TWh
  • Amortissement du surcoût (0,6 + 0,2 = 0,8 G€) sur la production : 0,15€/MWh, négligeable.
Il en ressort qu’une décision d’arrêt avant mise en service de Flamanville aboutirait à se priver pendant 50 ans d’une énergie dont le coût marginal est hyper-compétitif à 22 €/MWh, et serait donc encore plus absurde que l’arrêt prématuré du parc existant.

EPR de série suite de Flamanville
Contrairement aux cas précédents, où les réacteurs existent ou sont déjà largement engagés, et s’agissant de la décision de lancer un ou des nouveaux réacteurs, il y a lieu de prendre en compte les coûts complets incluant le renouvellement et la rémunération du capital.
La Cour a ainsi évalué le coût complet de l’énergie produite à 70 €/Mwh.

Si l’on se limite à comparer les coûts au MWh,  ce prix reste compétitif, largement plus cher que l’hydraulique dont les capacités sont malheureusement limitées par la géographie, au niveau des centrales thermiques à charbon, un peu moins cher que les nouvelles centrales à gaz à cycle combiné, et beaucoup moins cher que les énergies dites vertes, éolienne et photovoltaïque.

Comparaison des  MWh

Mais cette comparaison directe du coût des MWh produits est très peu significative.

Elle le serait si tous les moyens de production produisaient des MWh aboutissant à un stock d’énergie dans lequel les consommateurs viendraient s’approvisionner, ainsi que cela se produit pour pratiquement tous les produits industriels. Dans ce cas, le choix entre filières s’effectuerait principalement sur la base du coût complet du MWh.

Malheureusement, l’énergie électrique s’apparente plutôt à un service, qui doit être fourni et consommé simultanément, parce  qu’elle ne peut pratiquement pas être stockée :
  • Le seul stockage possible, très limitée, est sous forme d’énergie mécanique potentielle par pompage d’eau vers le lac supérieur de centrales hydrauliques réversibles de haute chute.
  • Le stockage sous forme d’hydrogène obtenu par électrolyse, préconisé par certains, a un rendement désastreux qui multiplie par 3 le prix de initial de l’énergie et y ajoute des coûts monstrueux de compression et de stockage.
  • A l’échelle d’un réseau, les batteries d’accumulateurs ne sont absolument pas envisageables : prix, volume, durée de vie, impact environnemental.
Le  problème de la production électrique n’est donc pas de « fournir de l’énergie (MWh) n’importe quand », mais bien de « fournir à chaque instant exactement la puissance (MW) dont les utilisateurs ont besoin », et ce besoin de puissance varie dans des proportions considérables, de 20 Gw  à 100 Gw en instantané, avec une moyenne vers 50 Gw au niveau de l’utilisateur.

Pour ce faire, EDF dispose de filières de production variées, qui peuvent être classées par ordre de souplesse décroissante comme suit :
  • Hydraulique de haute chute réversible : puissance immédiatement disponible à la demande, facile à régler, y compris en valeurs négatives (stockage d’énergie par pompage), et à arrêter.
  • Hydraulique de haute chute ou éclusée : puissance immédiatement disponible à la demande, facile à régler, et à arrêter.
  • Centrales thermiques au gaz : puissance disponible à la demande en quelques minutes, facile à régler, et à arrêter.
  • Centrales thermiques au charbon : puissance disponible à la demande en quelques heures, faciles à régler et à arrêter.
  • Centrales nucléaires : puissance disponible à la demande en plusieurs heures, peut fonctionner à puissance réduite au prix d’une usure hétérogène des barres de combustible, donc à éviter, et peut s’arrêter en quelques minutes avec une puissance thermique résiduelle à évacuer.
  • Centrales hydrauliques au fil de l’eau : produisent selon le débit et la chute, une puissance non ou peu réglable, mais prévisible environ une semaine à l’avance, très saisonnière, sans relation avec le besoin.
  • Centrales marémotrice (Rance) ou hydrolienne (Bréhat) : produisent une énergie parfaitement prévisible, mais très fluctuante, le plus souvent nulle ou négligeable, selon le rythme des marées : semi-diurne, mensuel, annuel, sans relation avec le besoin.
  • Eoliennes : produisent selon le vent une puissance non maîtrisable, pouvant néanmoins être annulée (pales en drapeau), prévisible  1 ou 2 jours à l’avance, saisonnière, nulle quand il n’y a pas de vent (régime anticyclonique), sans relation avec le besoin.
  • Solaire photovoltaïque : produisent selon la position du soleil (heure et saison) et la nébulosité, une puissance non maîtrisable, dont les composantes diurne et saisonnière sont parfaitement prévisibles, mais pas la nébulosité. Elle est nulle la nuit, très faible en hiver, le matin et le soir, et sans relation avec le besoin.
Les 4 dernières filières sont dites « fatales », en ce sens que l’on ne maîtrise pas leur survenance. Toutes ces filières de production doivent être utilisées au mieux par l’opérateur pour :
  • Assurer la continuité de l’approvisionnement, notamment en consommation de pointe,
  • Répondre instantanément aux variations de la demande, à la hausse comme à la baisse
  • Produire l’énergie au meilleur coût.
 Décentralisation de la production ?
A ce stade, on comprend déjà que la décentralisation de l’énergie prônée pour des raisons idéologiques par certains militants est un non sens, car la variabilité de la consommation et l’importance relative des pointes s’aggrave quand le territoire desservi se réduit.
Remarquons ainsi que la puissance moyenne consommée sur l’année est de l’ordre de 0,7 KW par logement, alors que le la puissance maximum prévue par l’abonnement, est le plus souvent entre 3 et 9 KW : la pointe fait environ 10 fois la moyenne. La pointe nationale se limite heureusement à 2 fois la moyenne ! L’addition des consommations et la mutualisation des moyens de production va dans le sens de la réduction des investissements, et donc de leur impact environnemental.

Pointes de consommation
On comprend aussi que la nécessité absolue de faire face à la puissance de pointe impose que celle-ci puisse être produite par des filières non fatales. Une pointe survient toujours en hiver par grand froid, correspondant généralement à un régime anticyclonique d’hiver avec des vents souvent faibles, parfois nuls, loin des grandes marées d’équinoxe, avec un jour court et un soleil bas, souvent avec des nuages. Faites le compte : aucune des énergies fatales ne contribue significativement à la pointe.

Tout nucléaire ?
Bien que le slogan « Non au tout nucléaire » ait existé, il est sans objet au plan économique, car c’est un truisme.
L’énergie nucléaire se caractérise en effet par une énergie très bon marché en coût variable, disponible en continu, mais peu souple, obtenue au prix d’investissements massifs et de longue durée. C’est donc la parfaite énergie de base, qui produit tout le temps et longtemps, parce qu’elle en est capable, mais aussi parce que c’est nécessaire pour compenser ses lourds amortissements.
Il serait absurde de construire, pour passer les pointes, des centrales nucléaires qui ne serviraient que quelques heures ou jours par an : l’amortissement de l’investissement sur des plages courtes amènerait à un coût extravagant. Leur relative rigidité rendrait problématique la réponse aux variations rapides de consommation.
Le parc nucléaire installé français est de 62 Gw. Avec un taux de disponibilité supposé égal à 80%, sa capacité de production est de 50 Gw permanents, soit 438 Twh par an. La production nucléaire 2010 selon l’INSEE est de 429 Twh. On peut considérer que le parc nucléaire français, utilisé près de son maximum comme il se doit, fournit :
  • 75% de l’énergie consommée sur l’année
  • mais seulement 50 % de la consommation de pointe qui atteint 100 Gw.
En d’autres termes, le nucléaire ne représente que la moitié de la capacité de production installée : on est loin du tout nucléaire ! S’il produit plus des trois quarts de l’énergie, c’est parce que l’opérateur le fait fonctionner en priorité en raison du très faible coût marginal de l’énergie produite.

Le prix des MWH
Bien entendu, même si nous avons raisonné « France », les états disposent de moyens de production différents, et ont des courbes de consommation qui ne coïncident pas, pour de multiples raisons, climatiques, liées aux modes de chauffage, aux horaires, etc. Il y a donc de nombreux échanges entre pays, et un marché qui suit les lois de l’offre et la demande.
Il est évident qu’en période de pointe, lorsque les opérateurs sont appelés à mettre en œuvre tous leurs moyens de production, même ceux dont le coût est le plus élevé, le prix de marché ne peut qu’être supérieur au coût le plus élevé. A l’inverse, en période très creuse, lorsque les seules énergies fatales, plus le nucléaire, excèdent la demande, le prix de marché se situera juste au dessus de ces coûts marginaux très bas. Dans ce cas, pour situer les idées, le prix d’échange du MWh entre opérateurs peut descendre à moins de 20 €, alors qu’il monte couramment à plus de 100 € en heures pleines en hiver, et n’a pas de limite lorsque les moyens de production sont tous mobilisés et saturés : 368 € en moyenne le 8 février 2012, dont une heure à… 1 938 €. Rappelons que le prix de facturation d’ERDF au détail est de l’ordre de 120 €M/MWh, ou 70 € à 500 € pour un tarif Tempo, auxquels s'ajoute un abonnement facturé entre 10 à 22€ par KVA et par an, selon les puissance et les tarifs. Un message leur sera prochainement consacré.

Ceci montre que le prix fixe de l’énergie est une fiction : la valeur de l’énergie dépend essentiellement du moment où elle est produite pour être simultanément consommée : Une même énergie produite par une centrale hydraulique mobilisée au moment de la pointe de consommation, vaut beaucoup plus cher qu’une énergie  fatale, bien souvent produite à contre-cycle, donc de peu d’intérêt. Comparer leurs prix de revient moyens du MWh n’a donc aucun sens.

Les écologistes disent avec juste raison que pour éviter les pointes, il faut faire des économies, ces fameux « négawatts ». Le moyen le plus simple pour les réaliser sur les pointes est la dissuasion tarifaire, déjà utilisée (Tarif ERDF Tempo et de nombreux contrats professionnels), mais insuffisamment répandue et pas assez sophistiquée. Elle est d’autant plus légitime que, pour atteindre la production de pointe,  l’opérateur mobilise tous ses moyens de production, y compris les plus coûteux et polluants (charbon, gaz).

La tarification à prix fixe n’est donc qu’une méthode historique simple, aisément compréhensible par la clientèle domestique. La révolution numérique permet d’en réduire les pointes en différant les consommations qui peuvent l’être, et en favorisant des choix  rationnels, du type chauffage « bi-énergie. Nous y reviendrons dans un message ultérieur.

La filière nucléaire fournit la moitié des pointes, et reste capable, malgré sa relative rigidité, de suivre les variations diurnes, à défaut des variations rapides. L’énergie qu’elle produit est donc de très bonne qualité, sans comparaison avec celle des énergies fatales, totalement rigides et souvent à contre-cycle. A prix de revient égal, le nucléaire est largement préférable aux énergies fatales. Or son prix de revient est beaucoup plus bas.

L’analyse économique, basée sur le rapport de la Cour des Comptes, confirme donc que chercher à remplacer le nucléaire par des filières fatales, est une absurdité économique, et n’incite pas du tout à sortir du nucléaire, bien au contraire !