mercredi 22 février 2012

L'écrêteur Voltalis : écologique, civique ou abusif?




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Ce petit boîtier "Voltalis" qui commence à se répandre apparaît bien mystérieux et pose d’autant plus de questions que son promoteur, la société éponyme, qui n’est pas EDF, reste très discrète sur son mode de fonctionnement, se limitant à affirmer qu’après une fourniture et une installation gratuites, il est capable  de réaliser des économies pour l'abonné en différant certaines consommations, et de réduire ainsi les émissions de CO2.

Les commentaires de la presse comme des forums en ligne montrent que la plupart des commentateurs n’a pas bien compris son fonctionnement. Plus curieusement, la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) n’a pas compris (ou pas voulu comprendre) non plus. Finalement, le Conseil d’Etat a compris et a autorisé cette initiative qui marque la véritable entrée de la révolution numérique dans la tarification électrique.

Contexte

Il est vrai que pour comprendre son fonctionnement, qui est assez complexe, il faut commencer par se convaincre que :
  • A l’échelle d’un réseau, l’énergie électrique ne peut pas être stockée : la production doit être à chaque instant exactement égale à la consommation. Le seul mode de stockage possible est sous forme hydraulique, dans des centrales de haute chute réversibles, mais leur capacité reste limitée faute de sites géographiques possibles.
  • La tarification du KWh fixe, ou variable par paliers, résulte de l’histoire et de la loi, et cache la réalité d’un coût de production du MWH qui peut varier rapidement et dans de larges proportions.
  • Cette variabilité dépend des moyens de production mobilisés pour satisfaire la demande, dont l’essentiel est en France fourni par la filière nucléaire, à laquelle s’ajoutent, pour une très faible part, les filières dites « fatales » (hydraulique au fil de l’eau, éolien, photovoltaïque) dont ont ne maîtrise pas la survenance, souvent à contre-cycle, mais dont le coût marginal du MWH produit est très bas ou nul. Ces filières réunies ne peuvent satisfaire :
    • Ni une pointe de consommation, notamment en hiver, pouvant être violente (102 GW en février 2012), et atteindre le double de leur capacité maximum qui est d’environ 55 GW.
    • Ni un accroissement rapide de consommation quotidienne que la filière nucléaire ne peut pas suivre en raison de l’inertie de ses réacteurs et de leur moindre rendement à puissance partielle.
 Ce graphe en GWh par semaine ne donne pas les crêtes instantanées. 10 000 GWh par semaine = 60 GW en moyenne.
Les deux graphes ci-dessus d’origine EDF. Sur le second, le zéro est décalé : variations hebdomadaires de 30 à 52 GW, quotidiennes ouvrées de 38 à 52 GW.

Il s’en suit que ces deux circonstances amènent les opérateurs, principalement EDF, à utiliser :
  • des centrales hydrauliques éclusées ou de lac, dont on maîtrise la production et dont le coût est extrêmement bas, mais qui sont malheureusement limitées par la géographie
  • des centrales thermiques fonctionnant avec des énergies fossiles (gaz, charbon, fioul) coûteuses et émettrices de CO2, qui doivent être amorties sur une courte durée d’utilisation annuelle,
  • de l’énergie électrique achetée sur le marché libre, dans lequel les opérateurs échangent des lots d’énergie donnés dans un intervalle de temps donné, à des prix qui peuvent être extrêmement variables selon l’offre et la demande, sans stock tampon qui puisse modérer les cours.
Le graphe ci-dessous (établi par l’auteur), donne les ordres de grandeur des occurrences des différentes puissances consommées et produites de 25 à 102 Gw, et les coûts et tarifs publics correspondant. Notez bien que l'occurrence 0% correspond à la crête maximum instantanée, et l'occurrence 100% à une puissance égale au minimum observé.


On y observe :
  • La large variation de la demande au cours du temps
  • Les coûts marginaux du KWh supplémentaires extrêmement variables (ordres de grandeur) dans les puissances élevées
  • Les coûts unitaires, dans chaque tranche d’occurrence, moins variables grâce à la part du nucléaire et de l’hydraulique qui reste importante
  • Les marges considérables d’EDF sur le tarif détail HT, explicités ci-dessous, alors même que ce graphique ne prend pas les abonnements en compte.
Ecrêter les pointes

Dans ce contexte, EDF a depuis longtemps cherché à faire varier le tarif de la consommation en fonction de l’heure ou de la date :
  • Le tarif P/C établit :
    • le prix TTC  des 16 heures pleines à 130 €/MWh,
    • et celui des 8 heures creuses à 90 €/MWh,
    • à comparer aux 120 €/MWh  du tarif de base à prix constant.
    • L’incitation est faible, et ne porte que sur l’heure, ce qui n’a aucun sens en été.
  • Le tarif Tempo, qui a succédé au tarif EJP créé dans les années 80, porte à la fois sur le critère quotidien P/C et sur les jours de pointe dans l'année, en définissant :
    • 300 jours bleus beaucoup moins cher que le tarif P/C,
    • 43 jours blancs à prix moyen, et
    • 22 jours rouges très chers en heures creuses à 190 €/MWh, et carrément dissuasifs en heures pleines à 500 €/MWh !
    • La couleur est annoncée avec un préavis de 8 heures. Il contribue efficacement à l’écrêtement, mais est contraignant pour l’utilisateur. A l’époque de la révolution numérique, il apparaît simpliste, car une pointe ne dure pas toute la journée, mais plutôt quelques heures.
On imagine facilement une tarification continûment variable du KWH quand  les filières nucléaire et hydraulique ne suffisent pas à la production, soit environ 20 à 30% du temps. Elle permettrait à l’utilisateur final de paramétrer le prix maximum auquel il souhaite acheter son énergie électrique selon son utilisation, ce qui revient à différer sa consommation jusqu’à ce que, une fois la pointe passée, le prix variable baisse, en dessous du prix paramétré :
  • un chauffage peut s’arrêter 1 à 2 heures sans gros inconvénient
  • un chauffe-eau peut être différé d’une demi-journée sans effet apparent
  • demain, le rechargement d’un véhicule électrique pourra se faire au cours de la nuit.
Un tel système demande évidemment un minimum d’intelligence numérique, et des règles contractuelles strictes relatives aux coûts variables et à leur moyenne.

Il est surprenant qu’ERDF, opérateur historique et dominant, n’ait pas cherché à aller dans cette direction. Les contraintes réglementaires et politiques y sont sans doute pour quelque chose. On peut se demander si une structure plus réactive, plus autonome, plus concernées par ses coûts et la rentabilité de ses investissements, en un mot soumise à une concurrence plus vive, ne l’aurait pas déjà fait. Le nouveau compteur "Linky" va néanmoins dans le bon sens.

 Voltalis, comment çà marche ?

Ce petit boîtier, connecté en CPL (Courant Porteur en Ligne, qui utilise les lignes 230 V pour transmettre des informations grâce à des tensions alternatives de 8 à 150 KHz superposées au 50 Hz), est capable, via des contacteurs appropriés installés gratuitement chez les particuliers, de couper ou de rétablir certaines sections (section = ensemble des consommateurs électriques en aval d’un même disjoncteur modulaire) selon des instructions transmises en GPRS (General Packet Radio Service = Transmission de données par téléphone GSM) par la plate forme centrale de la société Voltalis. Ceci concerne principalement les sections de chauffage électrique ou de chauffe-eau à accumulation.

Ce système Votalis est indépendant de l’opérateur, ERDF ou autre, qui continue à fournir l’énergie électrique et à la facturer au tarif en vigueur selon le type de contrat (Base, P/C, Tempo). Il n’a pas pour objet principal de réduire l’énergie consommée, bien que cela puisse se produire, mais plutôt de différer le moment de la consommation afin de réduire la pointe. Voltalis détient donc ainsi, par les boîtiers installés chez ses abonnés, le pouvoir de procéder à une réduction instantanée de la consommation de tout ou partie de ses abonnés, qui s’appelle, dans le jargon de la distribution électrique, un effacement diffus. En aucun cas Voltalis n’achète ou ne vend d’énergie électrique.

En cas de montée de la puissance consommée :
  • soit trop élevée pour être couverte par les moyens économiques, ou même simplement couverte,
  • soit trop rapidement croissante pour pouvoir être couverte par la montée en puissance lente de la filière nucléaire,
l’opérateur de production ou de distribution a le choix entre :
  • mettre en service ou faire monter en puissance des moyens de production plus coûteux,
  • acheter au prix fort à un autre opérateur l’énergie dont il dispose,
  • acheter ou obtenir une économie déterminée (effacement) auprès d’industriels gros consommateurs qui ont accepté de ce type de contrat,
  • acheter un effacement diffus à Voltalis
Dans ce denier cas, Voltalis exécute son contrat en déconnectant certaines  des sections de ses abonnés pendant un temps déterminé, et facture sa prestation qui évite à l’opérateur client des coûts et des moyens supplémentaires peu utilisés. Il agit donc en négociant de « Négawatts » fournis gratuitement par ses abonnés, et qui ne coûtent rien à ces derniers.

Intérêt et limites de Voltalis

Le système Voltalis est intéressant à deux titres, car il permet la réduction :
  • des investissements de production électrique par écrêtage des pointes.
  • des émissions de CO2, non par réduction de la consommation globale, mais par meilleure utilisation des filières de production non émettrices, principalement nucléaire et hydraulique, accessoirement éolienne.
Il mérite donc la qualificatif d'écologique 

En revanche, l'intérêt de l'abonné dans cette organisation est des plus limités :
  • Si la consommation est simplement différée, comme dans le cas typique d'un chauffe-eau à accumulation, l'abonné ne réalise strictement aucune économie, puisque l'énergie consommée et son tarif de facturation sont en général identiques pendant et après la coupure. Il ne subit non plus aucun inconvénient, sauf si l'eau du chauffe-eau est entièrement froide. Il a alors le choix entre se laver à l'eau froide et réaliser l'économie correspondante, ou différer le moment où il se lave, et n'en réaliser aucune.
  • Si la consommation est réduite, par exemple par une coupure du chauffage électrique suffisamment longue pour amener une baisse de température perceptible, il réalisera une économie correspondant à cette baisse pendant sa durée (moins de pertes thermiques quand la température du logement est plus basse), mais ne correspondant pas à l'energie non consommée pendant la coupure, puisque par la suite, la consommation sera majorée par la remontée en température du logement à son niveau de consigne.
En d'autre termes, l'abonné Voltalis ne réalisera d'économies que sur la quantité d'énergie qu'il n'aura pas consommée, mais aucune sur le prix de l'énergie consommée.
Il lui restera néanmoins la satisfaction d'avoir agi pour le bien de la planète, de Voltalis et des opérateurs, notamment ERDF. 


Cet abonné mérite donc d'être qualifié de civique.

Il est anormal qu'il ne soit pas associé à l'avantage économique résultant de l'utilisation de moyens de production moins coûteux. Autrement dit, Voltalis vend avec 100% de marge brute les "négawatts" qui lui ont été fournis gratuitement par ses abonnés. 


Comme il n'est par sûr que les abonnés aient conscience de cette répartition léonine des marges,
ce système peut être considéré comme abusif.

Une fois démystifié, ce modèle économique, qui implique trois parties (Abonné, Voltalis et l'opérateur), ne pourra perdurer et se développer que si Voltalis reverse aux abonnés une partie des "négawatts" facturés aux opérateurs, en conservant un marge brute légitime, par exemple 50% ou plus, car il doit notamment amortir la fourniture et l'installation de ses boîtiers chez les abonnés.

Même dans cette hypothèse, la limite du système Voltalis réside dans le fait qu’il exploite les failles d’une tarification des opérateurs, et notamment d’ERDF qui est trop déconnectée de la réalité du marché des échanges d’énergie et des variations du prix de revient marginal du MWh. Mais les opérateurs conservent la possibilité d’introduire des tarifs plus appropriés, notamment avec prix continument variable selon des règles contractuelles préétablies, permettant de réduire pour l’abonné le coût moyen de l’énergie électrique en contrepartie d’une dissuasion de la consommation en pointe par effacement de certaines utilisations.

Cette voie, qui reste à explorer et à promouvoir, a certainement un grand avenir. Voltalis n’en n'est sans doute que le premier... faux-pas.