vendredi 2 janvier 2015

Véhicules alternatifs : Quels scénarios pour le futur?

Table des matières du blog www.8-e.fr

Résumé

La transformation du parc routier actuel en véhicules alternatifs, à hydrogène, batterie ou caténaire, tous basés sur l’énergie électrique, aboutirait à un énorme besoin supplémentaire. Or les évolutions  prévisibles relatives à l’énergie, sont pour la plupart défavorables :
  • Raréfaction des hydrocarbures fossiles et restrictions d’émissions de CO2, donc substituts à trouver pour les carburants, le chauffage et la production électrothermique.
  • Stagnation probable de l’énergie hydraulique, et faible développement des énergies éoliennes et photovoltaïque du fait de leur intermittence.
  • Améliorations de l’efficacité énergétique  des véhicules, et du bâtiment (isolation et apports thermiques solaires).
  • Probable introduction de tarifs variables et de réseaux intelligents pour gérer les pointes de consommation
Dans ce contexte, l’abandon de l’énergie électronucléaire poserait des problèmes difficilement surmontables. Un EPR produit autant que 4 000 éoliennes de 2 MW ou que les 4 départements 75, 92, 93, 94 entièrement recouverts de panneaux solaires, dont les productions sont par surcroît intermittentes !
  • La création de stations de stations de recharge est  simple dans les parkings préexistants (habitation, entreprise, urbain, commerciaux) mais assez onéreuse sur les autoroutes (puissance élevée pour limiter de très grandes surfaces de recharge).
  • La production d’hydrogène serait plutôt décentralisée dans chaque station qui pourrait assurer la production selon la demande et le prix (variable) de l’électricité grâce à un stock aval.
  • D’éventuelles caténaires constitueraient un investissement lourd, mais bien inférieur au génie civil d’une autoroute, et éviterait les stations de recharge.
  • La perception de la TICPE assujettie à la TVA, qui est la contrepartie des infrastructures de transport et non un impôt écologique, amènerait quelques complications, notamment pour les stations de recharge privatives.
  • L'autonomie est un paramètre critique des véhicules alternatifs, sauf s’ils sont alimentés par caténaires. Sauf progrès imprévisible, les véhicules à batterie resteront urbains, et l’autonomie des véhicules routiers à hydrogène n’excéderait pas 400 Km au prix d’un alourdissement de 200 à 300 Kg.
  • Les véhicules conventionnels continueront à s’améliorer à se différencier selon leur usage. Des solutions intermédiaires se développeront avant les véhicules alternatifs, notamment des hybrides série et/ou des véhicules au gaz naturel qui apporte, à masse égale réservoir inclus, 3 fois plus d’énergie que l’hydrogène.
  • Dans une évolution aussi complexe et techniquement incertaine, le législateur doit s’abstenir de faire des choix appuyés par des mesures fiscales ou incitatives, et laisser le marché juger de la pertinence des solutions proposées par les acteurs, constructeurs et équipementiers.



5 . Comparaison des architectures

Le tableau ci-dessous reprend et complète les éléments des trois messages précédents pour tenter une synthèse des avantages et inconvénients des six architectures de véhicules alternatifs sans émission locale ni carburants fossiles envisagés précédemment. Toutes sont basés sur l’énergie électrique utilisée soit directement, soit via le vecteur hydrogène produit par électrolyse.



5.1. Infrastructures d’énergie électrique – Situation générale

5.1.1. Selon l’architecture utilisée, le besoin énergétique du parc routier national est donné ci-dessous. Ses ordres de grandeur monstrueux parlant peu, il est préférable de les exprimer de façon plus concrète :
  • En 3ème ligne, en pourcentage d’augmentation de la production électrique nationale actuelle. Selon les cas, elle est susceptible de doubler.
  • En dernière ligne, en nombre de réacteurs nucléaires EPR de 1,9 Gw (à construire) utilisés à 80% sur une année complète. 

5.1.2. De tels ordres de grandeur posent beaucoup de questions sur l’avenir général de l’énergie. Sans traiter ici ce sujet beaucoup trop vaste et complexe, rappelons les principales évolutions probables en France, positives ou négatives :
  • Raréfaction des hydrocarbures fossiles, liquides et gazeux, par épuisement et renchérissement progressif.
  • Selon le GIEC, nécessité de réduire les émissions de CO2 conduisant à des restrictions d’usage de tous les combustibles fossiles carbonés, charbon et lignite en tête.
  • En conséquence des précédents, substituts à trouver, non seulement pour carburants routiers, mais aussi pour le chauffage domestique et industriel, et pour la production électrique par centrales à gaz ou à vapeur.
  • Croissance de la population,  du parc de logements et de la demande de transport de personnes et de marchandises.
  • Possible réduction des biocarburants en concurrence avec l’alimentation humaine qui est en croissance qualitative et quantitative
  • Peu de développement significatif de l’énergie hydraulique et de sa variante réversible (STEP), faute de sites équipables. Les moyens de stockage énergétique resteront donc limités et locaux.
  • Amélioration de l‘efficacité énergétique dans tous les domaines : chauffage (isolation, pompes à chaleur actuellement méconnues), éclairage (technologies), moteurs (aimants et commutation électronique).
  • Apports thermiques solaires directs dans le bâtiment (chauffe-eau en toiture, baies au sud)
  • Développement limité des énergies éoliennes et photovoltaïques, malheureusement fatales et plus ou moins prévisibles, contra-cyclique pour le photovoltaïque, qui nécessitent des centrales hydrauliques ou thermiques en veille, prêtes à prendre le relais.
  • Développement de la biomasse, du biogaz, pour une part limitée et en partie fatale.
  • Les  tarifs variables, selon les principes du « yield management » couramment appliqués notamment aux  transports aériens, s’imposeront : ils incitent à la réduction des pointes de consommation, et évitent l’installation de moyens de production de  pointe, impossibles à amortir.
  • Les réseaux intelligents, compléments nécessaires de la tarification variable, pourront contribuer à réguler la consommation en la liant au tarif et à la production. Mais ils ne produiront rien, et l’intérêt de moyens de production électrique décentralisés ne saute pas aux yeux : la variabilité diminue, les coûts baissent et les rendements s’améliorent quand la puissance croît. par mutualisation des moyens de production.
Avant de statuer sur l’évolution de l’énergie électronucléaire, dont les inconvénients et risques sont connus, mais qui demeure la seule marge de manœuvre significative,  les décideurs seraient bien inspirés d’analyser attentivement les évolutions ci-dessus en dépit d’une minorité militante… Une décision positive suppose de trouver des sites, très probablement au bord de la mer, compte tenu de la puissance thermique à évacuer des condenseurs, et de la saturation des fleuves et notamment de la Loire. Quel gouvernement osera relancer le projet de centrale à Plogoff (Sud-Finistère), site naturel idéal ? Quel site pourra éviter de se transformer en ZAD ? Mais les faits sont têtus : un EPR produit autant que 4 000 éoliennes de 2 MW, ou que toute la surface de la ville de Paris et de ses trois départements limitrophes, couverte de panneaux solaires, avec l’avantage énorme d’une production continue.



5.2. Réseau de distribution d’hydrogène

La production centralisée d’hydrogène n’offrirait probablement pas d’effet d’échelle pouvant la justifier en compensant des prix élevés de transport, soit par « hydroducs » haute pression à créer, soit par camions citernes haute pression dont la capacité énergétique, limitée par le poids du réservoir, n’atteindrait que le 1/5 de celle d’un camion de gazole. Il est donc probable que chaque station de recharge disposerait de ses propres moyens de production raccordés au réseau ERDF.

Pour chaque station,  une optimisation sera à réaliser entre :
  • La puissance d’électrolyse installée
  • La capacité de stockage
  • Le prix (variable) de l’énergie électrique
On peut ainsi envisager trois tendances, entre lesquelles le marché tranchera :
  • à un extrême, une production tirée par la demande, donc avec très peu de stock, mais nécessitant une puissance d’électrolyse capable de suivre les pointes de consommation, et nécessitant l’énergie électrique au moment voulu, sans tenir compte de sa disponibilité, ni de son coût,
  • au milieu, une production continue, donc de puissance optimisée, avec stockage aval permettant de filtrer les pointes de consommation,
  • à l’autre extrême, une production poussée par l’offre d’énergie électrique en heures creuses, au meilleur coût énergétique, mais requérant une puissance d’électrolyse supérieure, puisque discontinue, et un stockage aval plus important qui doit faire face à la fois aux fluctuations de l’offre et à celles de la demande.

5.3. Infrastructure de recharge des batteries et caténaires

Elle est très simple dans les pavillons individuels, plus complexe, mais aisément soluble, dans les immeubles locatifs ou en copropriété, parkings d’entreprises, et parkings urbains ou commerciaux, car toutes ces aires de stationnement préexistent, et seule une ligne basique 2,5 mm² alimentant une prise standard 16 A (3 Kw) est à créer pour chaque emplacement de parking intérieur ou extérieur. La recharge peut s’effectuer pendant le temps de stationnement, et donc être relativement lente. Elle peut, si nécessaire, être facturée par de nombreux moyens automatisés, avec ou sans marge du distributeur sur le coût de l’énergie selon les cas. Ce n’est pas nouveau : les scandinaves ont coutume de connecter leurs véhicules conventionnels stationnant à l’extérieur en hiver, aux fins de préchauffage matinal.

Elle est beaucoup plus onéreuse s’il est nécessaire de créer les surfaces correspondantes, par exemple sur autoroutes, où elles devront être capables d’accueillir TOUS les véhicules qui se présentent et qui ne disposeront pas de marge d’autonomie résiduelle, sous peine de les voir tomber en « panne sèche » sur l’autoroute en provoquant des ralentissements désastreux. Afin de réduire le temps de recharge qui rallonge le voyage et augmente les surfaces dédiées, les postes de recharge seront beaucoup plus puissants, de l’ordre de 20 à 30 KW. L’équilibre économique d’unités dimensionnées en surface et en puissance pour les pointes de trafic, mais le plus souvent largement sous-utilisées, risque d’être problématique, et de conduire à des tarifs très supérieurs à ceux d’ERDF, d’autant qu’elles devront rester disponibles aux heures de pointe électrique.

La création sur autoroute ou voie rapide d’une ou deux voies dans chaque sens munies de caténaires, nécessiterait un investissement important, mais manifestement très inférieur à celui du foncier et du génie civil d’une autoroute. La meilleure efficacité énergétique (trains de véhicules + rendement) compenserait plus ou moins la vitesse plus élevée. Pour un trajet long, la puissance installée serait donc du même ordre de grandeur que celle nécessaire à l’ensemble des stations de recharge sur ce même trajet. Les moyens de production (centrales, lignes HT, transformateurs et distribution seraient donc comparables. Seules les caténaires proprement dites constitueraient un supplément, mais elles permettraient de réduire la taille des batteries et de supprimer les aires de recharge. Nous manquons d’éléments pour conclure sur un éventuel équilibre.

5.4. Fiscalité

Rappelons que la TICPE assujettie à la TVA n’est en rien un impôt écologique, mais, depuis toujours, la contrepartie du coût pour la collectivité des infrastructures routières et des services attachés. Il n’y a donc aucune raison pour que les véhicules alternatifs en soient exemptés. L’Etat ne peut d’ailleurs pas se passer d’une telle ressource.

Il est relativement simple d’assujettir les stations de charge dédiées et les caténaires à la TICPE et de l’intégrer dans le paiement. On peut le faire également chaque fois que le distributeur (parking urbain, commercial ou d’entreprise) qui facture est distinct de l’utilisateur. Mais ça devient très compliqué pour une copropriété ou un pavillon individuel, où il suffirait de changer de prise pour échapper à la taxe. Un compteur scellé sur les véhicules, avec relevé en ligne ? Bon courage !

La production d’hydrogène par électrolyse, tout comme la production de gazole par distillation du pétrole dans une raffinerie, devrait également être soumise à la TICPE. Toutefois, les stations d’électrolyse seront beaucoup plus nombreuses, en fait probablement une par station-service, ce qui risque de compliquer sérieusement le travail des Douanes chargées de collecter cet impôt, actuellement versé par les raffineries. Ajoutons que, contrairement au gazole non routier détaxé, dit « GNR » qui est rose, il ne sera pas possible de colorer en rose l’hydrogène destiné à des applications non routières : difficile d’éviter les fraudes !

Mais ne désespérons pas : le Législateur a largement démontré sa créativité en matière de nouvelles taxes, pas nécessairement très simples !

5.5. Autonomie

C’est le paramètre le plus critique des véhicules alternatifs : comment se passer des 12 KWh/Kg des hydrocarbures qui sont en plus liquides à température et pression ambiantes ?

L’hydrogène comprimé à haute pression requiert des réservoirs lourds en encombrants, en forme de cylindre à calottes hémisphériques, bien loin de la docilité des réservoirs actuels non pressurisés qui peuvent utiliser les espaces perdus ou de formes bizarres. Nous avons analysé ce problème dans notre message sur le stockage stationnaire de l’hydrogène, et admis une puissance spécifique, réservoir allongé inclus, de 0,7 KWh/Kg. Ce chiffre correspond à de l’acier dur sous contrainte effective de 760 GP, très élevée, avec une marge de sécurité réduite. Les composites, aramide/époxy et carbone/époxy,  peuvent augmenter la marge de sécurité, peut-être réduire un peu la masse, mais à un prix beaucoup plus élevé, qui semble peu compatible avec l’automobile. Leurs prix baisseront ils, et de combien ? L’avenir le dira ! Une  percée technologique majeure est peu probable dans ces techniques largement à maturité. Les volumes sont aussi en cause, avec des coffres fortement réduits.

Stockage d'énergie à bord :
  • Dans le véhicule-type actuel, 50 Kg (59 litres) de gazole passant à zéro, soit une masse moyenne de 25 Kg, assurent 1 000 Km d’autonomie. 
  • Dans la version la plus plausible du véhicule alternatif avec pile à combustible et batterie tampon, un réservoir de 140 kg assure 200 Km d’autonomie : c’est peu pour un véhicule routier. Si on double l’autonomie à 400 Km, acceptable, on arrive à 280 Kg : c’est lourd, et reste-t-il un coffre ? Les chiffres communiqués par GM à propos de leur parc de 30 Opel HydroGen4 semblent conformes à la première version. Peu enthousiasmant ! 
  • Dans la version à batterie seule du véhicule alternatif, 280 Kg de batteries assurent seulement 200 Km d’autonomie selon le trajet-type : c’est lourd et cher. Si on revient à l’autonomie moitié,  soit 100 Km, on allège les batteries à 140 Kg : c’est un véhicule urbain qui peut avoir un sens. Ajoutons que les batteries au lithium étant une technologie récente, la probabilité d’un progrès majeur y est plus élevée que pour les réservoirs pressurisés.
  • Un véhicule hybride batterie-caténaires permettait tout à la fois :
    • Une autonomie urbaine identique à la version « moitié » précédente,
    • Une recharge en temps masqué au stationnement et en circulation sous caténaire
    • Une autonomie illimitée et une vitesse élevée sur les voies équipées
    • Ces avantages évidents persuaderont-ils l’utilisateur d’adopter les disgracieux trolleys ? On pourrait imaginer que ce trolley ne soit qu’une option usine, ou même une option après-vente (prévue par le concepteur), permettant de convertir des véhicules électriques existants.
5.6. Conclusion…oh combien provisoire !

Compte tenu des sérieux inconvénients et du prix des véhicules alternatifs, il faudra que le prix des carburants augmente de façon colossale, ou que les restrictions d’émissions deviennent drastiques, pour que ces véhicules  puissent devenir compétitifs sans subvention massive (telle que le bonus écolo) ou biais fiscal majeur (TICPE et TVA par exemple).

Encore faudrait-t-il que l’infrastructure électrique le permette, ce qui impose pratiquement le développement de l’électronucléaire, très controversé. A défaut, on aboutira à faire rouler des véhicules « zéro émission » avec l’électricité produite par des centrales au charbon ou au lignite : l’Allemagne est en bonne voie sur la route de l’absurdité!

Face à ces difficultés majeures, il est probable que les véhicules basés sur les carburants fossiles n’ont pas dit leur dernier mot. La réduction des cylindrées, l’optimisation du point de fonctionnement par l’hybridation, une segmentation accrue du marché des VP par type d’utilisation, l’allègement et la récupération d’énergie cinétique des véhicules urbains, la réduction de la section des véhicules routiers, la conduite automatisée de trains de véhicules très proches les uns des autres pour réduire leur traînée, etc. peuvent encore réduire largement les consommations au prix d’inconvénients mineurs par rapport à ceux des véhicules alternatifs, et à moindre coût d’investissement et d’utilisation.

L’utilisation transitoire du gaz naturel comprimé, plus pérenne que le pétrole, comme carburant, est envisageable selon des architectures proches de l’hydrogène (moteur thermique ou pile à combustible avec reformage), avec le double avantage d’une énergie spécifique 3 fois supérieure due à sa masse volumique 8 fois supérieure, et d’un prix actuellement beaucoup plus bas.

Les hybrides rechargeables, parallèles, puis série (prolongateur), pourraient évoluer simultanément.

Des avancées technologiques majeures sont possibles dans tous les domaines, mais surtout, l’addition dans la culture automobile de la conception, des méthodes de production, de l’analyse de la valeur, de la production d’équipements en grande série, peut encore changer la donne, sans que l’on puisse deviner si ce sera au profit ou au détriment des véhicules alternatifs.

Il est essentiel que la pertinence des innovations technologiques soit jugée par le marché, et non par le Législateur. L’expérience a montré que ses décisions techniques ont presque toujours été erronées. Les choix relatifs à l’énergie et à son application aux transports routiers sont trop complexes et importants pour être laissés à des politiques !