« Le cri d’alarme des énergéticiens
européens »
Sous ce titre, le quotidien « Les Echos »
rapporte dans son numéro du 12 septembre 2013 l’inquiétude des producteurs
d’énergie électrique européens face à la politique européenne de subvention des
énergies renouvelables au détriment du nucléaire. Selon eux, elle aboutit
à :
- une explosion des prix pour le consommateur qui prend les subventions en charge,
- une fragilisation des réseaux pouvant conduire à des black out,
- une augmentation des émissions de CO2 contraire aux engagements de Kyoto
- la mise à l’arrêt de centrales au gaz performantes et relativement peu émettrices, concurrencées par des énergies subventionnées prioritaires et par le charbon importé à bas coût des USA où il est lui-même concurrencé par le gaz de schiste.
Situation de la France
Examinons la situation de la France à ces égards :
le tableau ci-dessous positionne les différentes filières de production dans un
graphique :
- En abscisses, par disponibilité décroissante
- En ordonnées, par ordre de grandeur du coût croissant en €/MWh (échelle lograrithmique)
Le second
tableau, ci-dessous, donne l’occurrence des puissance requises par le réseau de
distribution sur une année, ici l’année 2010, mais cette structure varie peu.
Rappelons
qu’à l’échelle d’un réseau, le seul moyen de stockage de l’énergie électrique
est dans les STEP (Stations de Transfert d’Energie par Pompage) qui sont des
centrales hydrauliques de haute chute réversibles. En raison de la rareté des sites appropriés, leur capacité reste très limitée et leur apport se limite aux
régions montagneuses. Les opérateurs (principalement EDF) doivent donc produire à chaque instant exactement
la puissance consommée par le réseau, laquelle varie rapidement et largement, entre
40 et 100 GW, aux échanges internationaux près.
Pour ce
faire, l’opérateur utilise d’abord les énergies renouvelables fatales (éolien
et photovoltaïque), dites « vertes », qu’il doit prioritairement
racheter, qu’il en ait besoin ou non, à un tarif préférentiel totalement
déconnecté du marché de gros de l’énergie. Le sucoût est répercuté par l’opérateur
au consommateur par la CSPE en bas de facture.
Il utilise
ensuite, selon leurs disponibilités, les énergies par ordre de prix croissant pour parvenir à
équilibrer la consommation du réseau. Après
une petite part constituée par l’hydraulique fatale (centrales au fil de
l’eau), il fait appel aux centrales nucléaires. Il peut ainsi, au niveau
national, couvrir jusqu’à 60 GW, ce qui est suffisant environ 50% du temps, et
contribuera à couvrir les demandes supérieures à 60 GW, notamment par temps
froid, pendant les 50% restants.
Le complément
de production sera assuré par les énergies de pointe : centrales
hydrauliques de haute chute et centrales thermiques à charbon ou à gaz.
Cette
description nationale pourra être nuancée par régions en fonction des
ressources régionales de production, et des coûts et pertes de transports.
Ainsi, la Bretagne et PACA, dépourvues de centrales nucléaires, feront appel plus
tôt aux centrales thermiques.
Ce graphique,
établi sur des moyennes, ne doit pas faire oublier que, pour chaque niveau de
consommmation nationale, la contribution des énergies fatales (éolienne,
solaire, marémotrice, hydraulique au fil de l’eau) n’interviendra qu’à hauteur
de leur production effective, sans relation avec le besoin du réseau.
Il s’en suit
que l’infrastructure de production hors
énergies fatales doit être dimensionnée
en fonction des crêtes de consommation au cours desquelles ces énergies peuvent
être absentes : Le développement
des énergies dites « vertes »,
toutes fatales ne permet en aucun cas de réduire le parc énergétiques des
autres filières, et notamment le parc nucléaire. Une énergie intermittente
ne peut évidemment pas remplacer une énergie permanente !
Il s’en suit
aussi que les énergies fatales, contractuellement absorbées en priorité par
l’opérateur de réseau, ont principalement pour effet de réduire la production
nucléaire. Or, si le coût
complet de cette dernière est de l’ordre de 40 €/MWh, essentiellement
composé de frais fixes, son coût
marginal est très bas, de l’ordre de 2
€/MWh ! Ceci resitue le véritable
prix de marché des énergie fatales, 50 à 100 fois inférieur à leur prix de
rachat administré ! Parler d’une proche compétitivité des énergies
vertes n’est pas sérieux et oublie simplement que tous les MWh ne se valent pas,
mais peuvent varier entre 0 €/MWh (ci-dessous) et plus de 1 000 €/MWh
(crête française de février 2012).
Suivre l’Allemagne dans la voie du
développement éolien et photovoltaïque accompagné d’une réduction du nucléaire
amènera en France, et aggravera pour l’Allemagne, les problèmes actuellement
rencontrés par ce pays frontalier et interconnecté :
- Compensation quotidienne de la non-production des énergies vertes (nuit et air calme) par de l’importation, principalement en provenance de France.
- Compensation de la baisse de production nucléaire par le développement des centrales au charbon avec accroissement massif des émissions de CO2.
- Fragilité du réseau par la volatilité de la production d’énergies vertes.
- En début d’été 2013, par un dimanche matin venteux et ensoleillé, le rachat obligatoire d'une énergie électrique verte fatale qui excédait les besoins du réseau, a contraint l’opérateur allemand à revendre l’excédent de cette énergie à un prix négatif (payer pour pouvoir l’écouler!) sur le marché international ! Même si cette configuration est rare, elle est symptomatique de l’inadaptation des énergies vertes à la satisfaction des besoins réels.
Le tableau en tête de ce message montre de façon
criante que :
- Le nucléaire, dont le coût intègre les lourdes normes « post-Fukushima », reste parfaitement compétitif. Mais son énorme coût d’investissement ne permet pas son utilisation en centrales de pointes dont le taux d’utilisation est faible, et la lenteur de ses réactions ne lui permet pas de suivre les variations rapides du besoin.
- Les centrales thermiques (en France : gaz ou charbon) justifient leur coût plus élevé par leur capacité de réaction quasi-immédiate, notamment pour le gaz, et sont indispensables pour faire face aux variations rapides de la demande, ou de la production fatale.
- On est bien contraint de conclure que les énergies vertes, situées en haut (chères) et à droite (fatales) du le tableau, n’ont actuellement aucun intérêt, sinon de satisfaire les convictions d’une partie de l’opinion publique qui, faute d’informations pertinentes, n’a pas compris cette problématique, il est vrai, assez complexe.
Dans ce contexte, fixer un objectif à long terme de
réduction de 80% à 50% de la part de nucléaire dans la production électrique française
est une absurdité : même si l’on
admettait que l’énergie nucléaire en France présente un risque, celui-ci serait
lié à la présence de centrales
nucléaires en activité, et non à leur production.
Au minimum, il faudrait donc exprimer cet objectif, non pas en énergie produite, mais en capacité installée. Ainsi redéfini,
le ratio est actuellement de 55%. Cette « grosse moitié » n’est pas
déraisonnable : contrairement a ce qui a parfois été affirmé, la France
n’est pas dans le « tout nucléaire ».
Les énergéticiens européens ont (presque)
raison
Le cri d’alarme des énergéticiens européens (parmi
lesquels EDF, moins concerné, était absent) est justifié. Il convient quand
même de nuancer la dernière affirmation sur les centrales à gaz, qui sont
concurrencées beaucoup plus par le charbon importé que par les énergies vertes.
Ceci est très regrettable, car une centrale au charbon émet 3 à 4 fois plus de
CO2 qu’une moderne centrale à gaz à cycle combiné, mais ceci est un problème
mondial qui n’est pas lié à la politique européenne contestée par eux. Une taxe carbone pénalisant les centrales au charbon aurait pu être une solution si une telle taxe n'entraînait pas autant d'effets pervers, notamment en termes de compétitivité.