jeudi 18 octobre 2012

Bonus / malus écolo automobile: amélioration ou aggravation?



Résumé

Le système de bonus / malus est totalement dépourvu de fondement :
  • La version 2013 est fortement aggravée, et encore moins réaliste, que celle de 2012. La courbe compliquée résultant du barème échappe à toute logique !
  • Il est à côté du sujet des émissions de CO2 qui résultent uniquement du carburant consommé, lequel n’est que très vaguement corrélé à la consommation normalisée du véhicule.
  • Il engendrera un marché gris transfrontalier jouant à l’importation sur les malus, et à l’exportation sur les bonus. 
  • Il poussera à achever la diésélisation du parc automobile, ce qui est une aberration économique et écologique. 
  • Il nuira à la balance française du commerce extérieur, et donc à l’emploi en France 
  • Il introduit une différence de nature entre véhicules thermiques et hybrides, alors que seule la performance finale devrait être prise en compte : L’Etat n’a pas à choisir entre des solutions techniques. 
  • Il favorise outrageusement les véhicules électriques ou  hybrides rechargeables sur le base d’un cycle d’essai qui tient pour nulle la consommation électrique de ces véhicule, alors qu’elle a un coût et émet des proportions variables de CO2.
  • Il constitue une atteinte à la liberté du citoyen de choisir le véhicule qui lui convient, et que l’Etat n’a pas à choisir à sa place.
Nous n'avons pas réussi à y trouver le moindre élément positif! 


Message détaillé

Nous nous sommes désormais habitués à ce bonus / malus attribués aux véhicules automobiles neufs en fonction de leurs émissions de CO2. Le projet de barème 2013 est en cours de discussion au niveau politique. Les informations disponibles ne sont ni entièrement disponibles, ni très claires.  Nous avons les avons cependant réunies dans le graphique ci-dessous, qui permet une vue d’ensemble et des comparaisons objectives.

Graphique établi par l'auteur du blog à partir d'informations de presse

 L’axe horizontal de ce graphe, en grammes de CO2 au km est abstrait. Remarquons que le taux en masse du carbone dans l’essence et dans le gazole étant le même, (à 1% près selon la composition variable de ces carburants), l’émission de CO2 est donc proportionnelle à la consommation de carburant, quel qu'il soit, exprimée en kg/100 km. On peut donc parler indifféremment
  • 115 grammes de CO2 au kilomètre
  • 3,71 kilogrammes de carburant (essence ou gazole) aux 100km
  • 4,41 litres de gazole (densité 0,84) aux 100 km
  • 4,97 litres d’essence (densité 0,75) aux 100 km
Nous qualifierons ci-dessous le véhicule ayant cette émission (et donc cette consommation), de «véhicule neutre» comme référence de comparaison.

Le graphe comporte :
  • 3 types de traits :
    • Barème 2012 en trait plein, 
    • barème 2013 en pointillés,
    •  écarts de coût de carburant en trait double
  • Pour 3 types de véhicules : 
    • Conventionnel en rouge, 
    • Hybride en vert, 
    • Electrique en bleu 
Les écarts de coûts de carburant sont calculés par rapport au «  véhicule neutre », défini ci-dessus, sur sa durée de vie estimée à 150 000 km. Nous nous sommes limités au gazole. Ces écarts sont comptés positivement si la consommation est inférieure, et s’ajoutent alors au bonus, et réciproquement.
La courbe orange est relative à l’influence de l’Etat, c'est-à-dire à la seule TICPE chargée de sa TVA.
La courbe mauve est relative au coût total du carburant à la pompe.

Barème 2013 par rapport à 2012

En examinant le graphe, de nombreuses remarques sautent aux yeux :
  • Le barème est compliqué.
  • Les intervalles et niveaux des marches échappent, encore plus qu’en 2012, à toute logique.
  • Les bonus des véhicules thermiques semblent avoir disparu, alors que les bonus des véhicules hybrides et électriques ont été fortement relevés.
  • Les malus ont été fortement relevés. Leur aggravation pour les véhicules dépassant 180 g de CO2 est très sévère, avec des hausses dont les coefficients vont de 2,2 à 2,6 et les hausses de 1 700 € à 2 700 €, pour atteindre au maximum 6 000 €, soit 1/3 du prix d’un véhicule moyen. On est plus proche de l’interdiction que de la dissuasion.
 Réduire les émissions de CO2

Ceci est synonyme de « réduire la consommation », puisque ces émissions sont proportionnelles à la masse du carburant consommé. Le dispositif bonus / malus est-il bien adapté à son objet ?

La consommation totale sur la vie d’un véhicule dépend de nombreux paramètres :
  1. sa durée de vie
  2. sa distance annuelle moyenne parcourue
  3. sa consommation selon cycle normalisé
  4. la vitesse moyenne
  5. le type de trafic : urbain, routier, autoroutier
  6. le comportement de son conducteur, économe ou nerveux 
  7. son état de maintenance

Les 3 premiers paramètres sont les 3 facteurs d'un même produit, seul significatif:
Consommation cumulée théorique du véhicule sur sa vie = (1.) x (2.) x (3.)

Les 4 derniers paramètres sont des correctifs importants.

Curieusement, le Législateur n’a retenu que le 3ème paramètre, et a oublié tous les autres !

En réalité, la seule manière de promouvoir les véhicules économiques en carburant est de taxer le carburant, qui fait la synthèse exacte des 7 paramètres ci-dessus, parce que le CO2 vient du carburant en non du véhicule ! On revient à la problématique de la taxe carbone, distincte de la TICPE, très complexe, qui fera bientôt l’objet d’une réflexion dans le présent blog.

En ce qui concerne les véhicules hybrides rechargeable ou électriques, rien n’est simple :
  • Dans la plupart des pays étrangers, l’utilisation d’énergie électrique pour la propulsion d’un véhicule aboutit, du fait des rendements cumulés de production électrique, de distribution, de conversion, de charge et décharge de batterie, et de moteur, à une aggravation des émissions, d’autant plus forte que le part du charbon dans les énergies primaires est élevée.
  • En France:
    • pendant environ du 60% du temps sur l’année, cette énergie est décarbonée grâce au nucléaire, et donc effectivement exempte de CO2. 
    • Elle ne le sera pas, à des degrés divers, si la charge s’effectue lorsque les moyens de production de pointe à base d’énergie fossile sont utilisés, notamment en hiver, et même la nuit.
  • Tous les cas intermédiaires existent…

L’impact économique

Marché gris
Le Législateur a aussi oublié que le bonus malus n’impacte que l’acquéreur du véhicule neuf en France, dans un marché ouvert. Ceci débouchera inévitablement sur un marché de gris des véhicules « occasions-neufs » :
  • Gros véhicules acheté à l’étranger pour éviter le malus
  • Véhicules économes ou hybrides revendus à l’étranger après encaissement du bonus
Une telle évasion fiscale est conforme au droit européen.

Mix essence / diesel
La TICPE, ci-dessous chargée par sa TVA, est outrageusement favorable au diesel :
  • 0,61 € par kg de gazole
  • 0,97 € par kg d’essence
Voir à ce sujet la seconde partie d’un précédent message, qui analyse le rôle de la TICPE et préconise un rééquilibrage de cette fiscalité dans la durée.

L’écart de consommation exprimée en kg/100 km, seule unité significative, entre essence et diesel est moins spectaculaire qu’en litres/100 km, mais reste en faveur du diesel, dont le rendement est meilleur en raison de son taux de compression plus élevé.

Le bonus / malus s’ajoutant à la TICPE et à la moindre consommation, soit 3 avantages compétitifs majeurs du diesel, aboutira à un parc presque entièrement diesel.

Ceci est un non-sens : qu’on le veuille ou non, la distillation du pétrole brut produit notamment :
  • de l’essence (mélange complexe d’alcanes, d’alcènes, et d'aromatiques en C6)
  • et du gazole (mélange d’alcanes autour de C12), 
  • dans des proportions qui dépendent de la composition du brut, et donc de son origine. La France est contrainte d’exporter de l’essence et d’importer du gazole, et recherche les bruts de composition adéquate pour ses besoins atypiques, pas nécessairement les moins chers, et qui augmentent sa dépendance énergétique.
Ceci a aussi le grave inconvénient de pénaliser le consommateur en le contraignant à acheter des véhicules diesel, plus chers, particulièrement en entrée de gamme.

La balance française du commerce extérieur

Le système de bonus / malus aboutit à :
  • avantager les petits véhicules économiques, souvent délocalisés par les constructeurs nationaux, ou venant d’Italie, d’Europe centrale, ou de Corée du sud.
  • pénaliser fortement le haut de gamme, notamment allemand, mais aussi les grandes berlines et monospaces familiaux fabriqués en France,
  • donner une énorme prime aux hybrides de Toyota, de loin leader sur le marché
  • avantager les gammes électriques récemment proposées par Renault et GM, mais sans impact réel compte tenu d’une diffusion qui risque de rester confidentielle.
Au total, il dégradera la balance française du commerce extérieur, et pénalisera l’emploi en France

Les véhicule hybrides non rechargeables

Rappelons un précédent message selon lequel ces véhicules, malgré leur nom, tirent 100% de leur énergie du carburant fossile. L’hybridation porte essentiellement sur la transmission (Prius par exemple), et sur la capacité de rouler brièvement en mode électrique en circulation urbaine encombrée. Ces solutions intelligentes, mais onéreuses, n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles aboutissent, via l’optimisation du point de fonctionnement du moteur thermique et l'intermittence de son fonctionnement, à une réduction de la consommation, laquelle dépend largement des conditions d’utilisation, ville ou route. Elles sont donc en concurrence créatrice avec des solutions plus conventionnelles (« downsizing », aérodynamisme, cycle d’Atkinson, taux de compression variable, gestion thermique du moteur, etc…). Ces diverses solutions ne sont d’ailleurs pas incompatibles,  et ne doivent être appréciées qu’à l’aune de leurs performances.

Il est donc parfaitement illégitime d’avantager les hybrides en fonction de leur nature, avec par surcroît un problème de limite : où commence l’hybridation ? Un « start and stop » est-il un hybride ? Enfin, le rôle de l’Etat n’est pas de choisir des solutions techniques, ce que le marché fera beaucoup mieux que lui, mais de pousser, éventuellement, à la réduction des émissions en les taxant, sans préjuger du moyen.

Le barème de bonus / malus ne doit pas faire de différence entre les hybrides non rechargeables et les thermiques.

Les véhicules hybrides rechargeables ou tout-électriques

En comparaison de l’énorme buzz médiatique qu’ils provoquent, leur impact économique est pratiquement nul : en 2012, on prévoit d’immatriculer 5 000 véhicules tout-électrique en France, alors que les prévisions établies en avril 2010 tablaient sur 60 000 ! Et encore, sur ces 5 000 les "Blue Car" de Bolloré, très spécifiques, représentent près de la moitié. Analysons les quand même.

Elles posent un problème de limite : à partir de quelle capacité utile de batterie un véhicule doit-il être considéré comme rechargeable ? Nous n'avons pas la réponse.10 kwh, équivalents à environ 3 litres de gazole après rendement thermique, sembleraient être un minimum... 

Les consommations normalisées de ces véhicules sont déterminées de façon tout à fait étonnante : la performance est chiffrée avec batterie chargée au début de l’essai, et déchargée en fin d’essai. Autrement dit, la consommation d’énergie électrique est tenue pour nulle et gratuite, ce qui n’est nullement le cas. Cette énergie a un coût, qu’il faut additionner avec les coûts de batterie (location ou remplacement), pour s’apercevoir que sa compétitivité est très discutable.

Au plan économique,  il faut se convaincre de ce que si l’on remplace progressivement toute l’énergie des carburants routiers par de l’énergie électrique, il faudra investir dans de nouveaux moyens de production électrique, notamment nucléaires, car la totalité de l’énergie finale (mécanique en sortie du moteur) nécessaire aux transports routiers est de l’ordre de 10 MTEP par an, soit environ 30% de la production électrique actuelle. Les militants devraient y réfléchir : on ne peut donc pas être pour les voitures électriques et contre le nucléaire !

Dans ce contexte en demi-teinte, on voit mal ce qui pousse le Législateur à avantager outrageusement le véhicule électrique ou hybride rechargeable:
  • Bonus à 5 000 ou  7 000 €
  • Pas de TICPE ou équivalent (contrepartie  de coût des infrastructures et des coûts pour la collectivité)
  • TVA sur l’énergie électrique inférieure au taux normal
Il serait au contraire normal de les soumettre au même barème que les autres, avec mise en équivalence CO2 de la recharge de la batterie après l’essai, par exemple selon la moyenne de la production électrique française, ce qui serait déjà très favorable.

Les libertés individuelles
Le système de bonus / malus avantage ou pénalise les acheteurs en fonction de leurs besoins, dont l’Etat n’a pas à juger :
  • Il avantage le foyer qui a besoin de deux petites voitures et pénalise celui qui a besoin d’une grande,
  • Il avantage celui qui fait beaucoup de kilomètres dans une petite voiture, et pénalise celui qui fait peu de kilomètres dans une grosse voiture, notamment les véhicules de très haut de gamme ou sportifs qui roulent généralement très peu,
  •  il avantage celui qui revend une voiture, notamment à l’étranger, après avoir encaissé le bonus, mais pénalise celui qui perd l’usage du véhicule ayant subi un malus, après accident ou revente,
  • il est neutre par rapport aux déplacements inutiles ou aux conduites rapides et nerveuses
Cette action de l’Etat sur le véhicule, et non sur le carburant, est donc à bien des égards une intervention inutilement liberticide et injuste dans le choix des citoyens.