mardi 28 août 2012

Stockage de l'énergie éolienne en Allemagne "Les Echos"



Dans son numéro du 27 août 2012, cet excellent journal économique nous apprend que l’électricien allemand E.ON envisage la création d’une usine pilote pour stocker l’énergie éolienne sous forme d’hydrogène.

Une réflexion un peu plus approfondie permettrait de resituer le problème dans son vaste contexte

Les énergies primaires peuvent être stockées ou non, selon leur nature, par difficulté croissante:
  • Le charbon, les lignites existent en gisements et peuvent très aisément stockés n’importe où, en vrac, en quantités illimitées, pratiquement sans aucune infrastructure. La biomasse est dans le même cas.
  • L’uranium, avant ou après très traitement, doit être stocké dans des conditions très sécurisées, mais son très faible volume par rapport à son énorme énergie utilisable en fait une énergie primaire très facile à stocker.
  • Le stockage du pétrole et ses dérivés liquides est facile car il se fait à la pression atmosphérique, mais requiert néanmoins des infrastructures : réservoirs, canalisations, bassins de rétention, sécurisation.
  • Le GPL est stockable à l’état liquide à température ambiante, sous pression modérée, ce qui limite la taille et le coût des réservoirs.
  • Le gaz naturel n’est stockable qu’à l’état gazeux, donc sous pression élevée, c'est-à-dire difficilement. Mais comme son approvisionnement est réalisé le plus souvent par gazoduc, les variations de la demande sont absorbées principalement par variations du débit des gazoducs.
  • L’énergie hydraulique de haute chute est stockable par la présence d’eau dans le lac supérieur, dans les limites de capacité de ce dernier.
  • L’énergie électronucléaire fournie par un réacteur est disponible quand on le souhaite, sous réserve de l’avoir prévu, car il ne permet pas une variation rapide de la puissance produite. En outre, pour des raisons liées à l’usure des barres d’uranium, il est largement préférable de ne l’utiliser qu’à puissance maximum ou nulle, ce qui n’est pas un gros inconvénient quant on dispose d’un parc important.
  • L’énergie géothermique (à l’exclusion des pompes à chaleur dites « géothermiques » ) est toujours disponible, et n’est limitée que par la puissance de l’installation d’extraction.
Toutes les énergies ci-dessus sont, à des degrés divers, adaptables à la consommation. Au contraire, les énergies ci-dessous sont dite « fatales », (du latin fatum = destin) c'est-à-dire que leur survenance, aléatoire ou prévisible selon les cas, ne peut pas être corrélée au besoin :
  • L’éolien qui survient quand il y a du vent, et pas trop, ne fournit sa puissance nominale qu’environ 18% (terrestre) à 25% (offshore) du temps.
  • L’hydraulique au fil de l’eau, ou marémotrice (Rance, hydroliennes de Bréhat), prévisibles, mais pas modifiables,
  • Le solaire photovoltaïque ou thermique qui produit quand il y a du soleil, c'est-à-dire principalement à contre-cycle, la consommation énergétique étant minimum en été.
Le rôle des distributeurs d’énergie est d’utiliser à chaque instant le moyen de production le plus approprié, et donc le moins cher et/ou le moins polluant. Il utilise en priorité les énergies fatales, marginalement gratuites, s’il y en a, puis l’énergie de base qui est en France le nucléaire, ce qui lui permet de couvrir environ 50% de la consommation maximum, soit la totalité des besoins pendant environ 60% du temps. S'il  çà ne suffit pas, il recourra en supplément à l’hydraulique de haute chute, puis aux combustibles fossiles, chers, et émetteurs de CO2.
La question du stockage de l’énergie électrique est fort ancienne, aussi vieille que la distribution électrique :
  • Les batteries ne permettent qu’un stockage dérisoire, très coûteux et pas du tout écologique, en raison de leur coût et de leur faible durée de vie. Il est définitivement impossible, même dans les technologies les plus modernes telles que le lithium-ion, de stocker ainsi l’énergie d’un réseau.
  • Une solution hydraulique limitée existe dans les pays pluvieux et montagneux : lorsque la demande est faible, on utilise l’énergie électrique disponible pour « turbiner », c'est-à-dire pomper l’eau du lac inférieur vers le lac supérieur. La Suisse s’en est fait une spécialité : elle turbine aux heures creuses avec de l’énergie électro-nucléaire bon marché importée de France, et exporte aux heures de pointe vers ses trois voisins de l’énergie électro-hydraulique au prix fort.
  • Pour l’essentiel, l’adaptation de l’offre à la demande est faite par variation de la  production à partir d’énergies primaires aisément stockables, et non par stockage de l’énergie électrique.
Dans ce contexte, l’annonce des Echos est pour le moins surprenante, à plusieurs titres :

Quand y aura-t-il des excédents ?
La question du stockage ne se pose que si la production éolienne est excédentaire. Dans le cas de l’Allemagne, en anticipant sa sortie du nucléaire ainsi compté pour zéro, il faudrait que les productions fatales (hydraulique au fil de l’eau, éolienne et photovoltaïque cumulées),  excèdent la consommation du pays au même moment, situation actuellement hautement improbable, même avec l’installation de 10 GW d'éolien offshore prévue en Mer du Nord. Il faudrait pour cela la conjonction d’une consommation très basse, c'est-à-dire en plein été, avec des vents forts, et du soleil, très  improbable. Quand bien même serait-elle obtenue, ce n’est pas la totalité de la production qui pourrait être stockée, mais uniquement l’excédent. Cà n’aurait évidemment aucun sens de stocker de l’énergie électrique d’origine éolienne tout en produisant de l’électricité thermique !

Comment les transformer en hydrogène ?
Considérons donc qu’il s’agit d’une expérience anticipant un futur lointain. Le choix de l’hydrogène pose des questions supplémentaires, déjà abordées dans ce blog à propos du stockage de l’énergie photovoltaïque : http://www.8-e.fr/2012/01/une-centrale-solaire-qui-stocke.html.

Si on ne veut pas utiliser d’hydrocarbures (ce serait un comble !), et l'électrolyse à froid d'une solution alcaline étant exclue en dehors de ses vertus pédagogiques, il y a deux manières d’utiliser de l’énergie pour produire de l’hydrogène à partir de l'eau, :
  • Par le cycle iode/soufre en trois réactions successives à températures élevées (200 à 900°C) qui aboutissent à :  H2O --> H2 + ½ O2
  • Par électrolyse d’acide sulfureux (H2 SO3) selon cycle de Westinghouse à chaud aboutissant à :  H2O --> H2 + ½ O2 
Notons que compte tenu du paragraphe précédent, cette installation de transformation ne sera, elle aussi, que très rarement utilisée, ce qui pose des problèmes multiples, et notamment celui de l’amortissement de l’investissement correspondant qui viendra grever le coût de l’hydrogène produit.

Que faire avec l’hydrogène ?
Les problèmes liés au stockage de l’hydrogène ont déjà été abordés dans ce blog à propose des véhicules à hydrogène :  http://www.8-e.fr/2012/03/vehicules-hydrogene.html . Résumons nous en disant que son stockage à l’échelle de l’énergie d’un réseau n’est envisageable ni à l’état liquide, ni à l’état gazeux, en raison de ses propriétés physiques extrêmes.

De ce fait, l’idée de le mélanger au réseau de gaz naturel n’est pas absurde, a l'avantage d'être simple, mais apparaît limitée :
Le gaz dit "naturel" doit satisfaire à la norme « G20 » relative au pouvoir calorifique (PCS et PCI), à la densité, et surtout à l’indice de Wobbe à partir desquelles les caractéristiques des  brûleurs et des appareil sont définies. L’adjonction d’hydrogène au gaz naturel ne serait possible que dans des limites étroites, qui dépendent d’ailleurs des propriétés réelles du gaz naturel auquel il serait incorporé afin que le mélange reste conforme aux normes.

Le transformer en gaz synthétique ?
En général, pour produire industriellement de l’hydrogène, on part du méthane, principal constituant du gaz naturel, selon trois procédés classiques déjà abordés dans ce blog (lien ci-dessus):
  • Le vaporeformage du méthane : CH4 + 2 H20 --> CO2 + 4 H2. 
  • L’oxydation partielle d’hydrocarbure, établie ici pour du méthane : 2 CH4 + O2 + 3 H20 --> 2 CO2 + 6 H2. 
  • Le reformage autothermique est une combinaison des deux précédentes : 3 CH4 + O2 + 4 H20 --> 3 CO2 + 10 H2 . 
Ici, on se pose curieusement le problème inverse: comment fabriquer du méthane à partir de l’hydrogène et de l'oxygène ?
La réaction est théoriquement très simple : C + 2 H2 à CH4. Mais cette simplicité n'est qu'apparente, car le carbone ne brûle pas dans l’hydrogène. Les pouvoirs calorifiques respectifs laissent même prévoir que cette réaction serait endothermique: d’où viendrait la chaleur? 

La réaction de Senderens et Sabatier (1902), élargie par le procédé Fischer-Thropsch développé en Allemagne dans les années 30 et largement utilisé pendant la deuxième guerre mondiale, permet la synthèse du méthane à partir du monoxyde de carbone en utilisant le nickel comme catalyseur : 3 H2 + CO --> CH4 + H2O. 
Partant du carbone et de l'oxygène pur résultant de l'une des deux réactions citées plus haut, la réaction globale devient :  
C + 1/2 O2 + 3 H2 --> CH4 + H20
Cette réaction n'utilise que 1/3 de l'oxygène produit par l'électrolyse. Finalement: 
  • Un tiers de l'hydrogène obtenu grâce à l'énergie éolienne sert à fabriquer... de l'eau de synthèse! 
  • Les deux tiers de l'oxygène produit peuvent se vendre au prix de l'oxygène résultant de la distillation de l'air liquide, beaucoup moins cher.
  • Par surcroît, il faut du carbone, qui viendra très probablement du coke, carbone presque pur issu de la distillation du charbon. Et on est revenus aux énergies fossiles ! On a réussi à transformer une énergie renouvelable en énergie non renouvelable! Beau sujet d’étude pour E.O N…
Une variante de cette réaction de Sabatier  permet, à température et pression élevées, avec un catalyseur de ruthénium sur alumine,  la production de méthane à partie d'hydrogène et de gaz carbonique (dioxyde) selon la réaction: CO2 + 3 H2 --> CH4 + H2O
  • Là encore, un tiers de l'hydrogène  sert à fabriquer de l'eau de synthèse!
  • Le CO2 doit être pur. Il pourrait provenir des futurs captages de CO2 à la source. Comme ce CO2 résulte lui-même d'une combustion du carbone ou d'un hydrocarbure, l'équivalence avec la variante précédente se confirme.
  • Pour que ce procédé soit économiquement justifié par rapport au précédent, il faut que soit le prix du carbone (issu des hydrocarbures ou du charbon) soit très élevé, soit que l'émission de CO2 soit très taxée: aucune de ces conditions ne sera atteinte à court ou moyen terme. A très long terme, c'est une voie possible.

Et quel sera le coût de ce méthane provenant :
  • de hydrogène issu l’énergie éolienne, la plus chère qui soit après la photovoltaïque,
  • dont un tiers est perdu dans la synthèse du méthane,
  • par des installations de production d’hydrogène et de synthèse de méthane rarement utilisée, donc coûteuses,
  • à partir du carbone probablement fossile,
  • ou à partir de captage de CO2 très onéreux?
Il sera très loin d'être compétitif par rapport au gaz naturel importé par gazoduc, l’énergie thermique la moins chère après le charbon, auquel il prétend s’additionner, et donc se substituer pour partie.

Conclusion
Rappelons la hiérarchie des énergies : 
  • Les énergies « nobles », aisément convertibles entre elles, ou en énergie thermique, avec un très bon rendement :
    • Mécanique (inclus hydraulique et éolien) statique ou cinétique
    • Electrique (issue de l’énergie mécanique, photovoltaïque, ou électrochimique)
  • L’énergie thermique (d’origine chimique, géologique, solaire thermique ou nucléaire) qui ne peut se convertir en énergie mécanique qu’à travers le principe de Carnot-Clausius, lequel  implique un mauvais rendement, typiquement 20% à 50%.
C’est donc a priori une mauvaise solution que de transformer, aux fins de récupération, de l’énergie électrique en énergie chimique destinée à produire de l’énergie thermique.

En outre, si ce procédé permet théoriquement de récupérer des excédents de production, il ne participe pas aux pointes de consommation électrique, qui devront être satisfaites par les moyens de production disponibles au moment où elles surviendront, même s’il n’y a pas de vent. Le terme de stockage est donc abusif, il s'agit tout au plus de récupération. En Allemagne, il ne réduira pas les pointes de consommation électrique par report sur le chauffage au gaz, puisque le chauffage électrique y est pratiquement inconnu.

Les Echos ne disent rien du financement de cette installation pilote. On peut raisonnablement penser qu’elle est lourdement subventionnée par le Gouvernement allemand qui chercherait ainsi à donner des gages à ses nombreux « Grunen » très actifs qui n’ont rien compris aux questions énergétiques. Ce ne peut être qu’une décision hautement politique, à l’approche des élections. Ce peut aussi être un vecteur d'image pour E.ON, grand exploitant de centrales an charbon, les pires en termes d'émission de CO2.

Il existe pourtant une voie pour réduire les émissions de CO2 sans augmenter le nucléaire, à condition toutefois de ne pas en sortir non plus : une modulation profonde des tarifs instantanés de l’énergie électrique par « yield managment », à l’instar des billets de transports aérien ou ferroviaire, et pour des raisons très similaires. La révolution numérique le permet, à un coût très modéré, et avec une véritable incitation individuelle à une consommation raisonnée et étalée… Voir notre message à ce sujet. Ce serait une autre décision politique, économiquement cohérente, mais pas si facile à faire accepter à une opinion publique qui aime la stabilité des prix, même quand celle-ci est une fiction.