lundi 25 novembre 2013

Avant projet de STEP offshore en Begique


A l’extrême opposé de la Suisse, la Belgique ne dispose d’aucun relief permettant l’installation de centrales hydroélectriques de haute chute. Sa production électrique est principalement électrothermique, accessoirement électronucléaire. Elle a développé l’éolien, notamment maritime, mais le caractère fatal de cette énergie limite son intérêt en l’absence de stockage énergétique, d’où l’idée ci-dessous.

Une île artificielle

L’idée, qui n’est pas encore un projet, est de créer une île artificielle de 2,5 km de diamètre, dont la périphérie aurait 10 m d’altitude, située en mer du Nord au large de Wenduine près de Zeebruge, non loin de 3 parcs d’éoliennes devant comporter à terme respectivement 54, 55 et 72 éoliennes, soit au total 181 éoliennes. Son centre serait creusé jusqu’à 40 m en dessous du niveau de la mer, et constituerait le « lac » inférieur, la mer étant le lac supérieur. Par principe, les stations devraient être situées au niveau du lac inférieur, c'est-à-dire très en dessous du niveau de la mer.



Une telle réalisation est possible, mais demande une première analyse d’évaluation à partir de l’hypothèse plutôt optimiste d’un rendement de 80% par transfert, malgré la très faible dénivellation et la longue conduite forcée de plus d’un kilomètre, soit 50 fois la dénivellation moyenne. A partir du communiqué de presse, l’auteur a établi le schéma probable ci-dessus et a procédé aux calculs analogues au tableur figurant dans le message précédente, pour aboutir aux chiffres ci-dessous :
  • Energie absorbée par pompage : 3 600 Mwh, soit 9 heures de production de 181 éoliennes de  2 Mw par vent permettant de produire à leur puissance nominale.
  • Energie restituée : 2 700 Mwh, soit environ 64% de l’énergie absorbée. Les chiffres du communiqué de presse sont donc techniquement cohérents.
Incidence des marées

Il est à noter que les marées, dont les amplitudes extrêmes diurnes sont comprises entre 1,8 m et 5,4 m dans cette région, interviendraient dans le rendement de cette STEP :
  • Si la production électrique a lieu autour de la haute mer, son rendement est amélioré, ou inversement à basse mer. Toutefois, les heures de production en pointes étant totalement déconnectées des heures de marées, on peut considérer que ce facteur serait en moyenne égal à 1, donc sans influence.
  • Il en va un peu différemment du pompage : les heures creuses étant plus fréquentes et plus longues que les heures de pointe, l’opérateur aurait une petite latitude de choix pour pomper (vider le lac inférieur) plutôt à basse mer.
  • Mais l’incidence de ce facteur n’excéderait pas une hauteur moyenne de l’ordre de 1 mètre, à comparer à une dénivellation moyenne de 21 mètres, soit une amélioration du rendement de l’ordre de 5%, ce qui n’est pas négligeable, mais ne change pas l’économie générale de l’ensemble.
Un désastre économique annoncé

Mais l’aspect économique du dossier est entièrement passé sous silence, en dehors du premier point :
  • Le prix de l’ile est évalué à 90% du prix de l’avant-projet. En d’autres termes, son prix sera 10 fois le prix d’une STEP de montagne de même puissance.
  • Son rendement énergétique global ne sera que de 64% au mieux.
  • L’énergie éolienne est rachetée en France au tarif très élevé de 130 €/Mwh. Supposons que ce prix soit le même en Belgique.
  • Son coût après stockage et restitution avec un rendement de 64% aboutit à : 200 €/Mwh
  • Il faut y ajouter les frais d’exploitation et d’amortissement de l’île artificielle et de ses stations réversibles. Compte tenu des paramètres très défavorables (faible chute, eau de mer…) ces frais seront probablement de l’ordre de 10 fois ceux d’une STEP de montagne, voire plus. Une évaluation à 200 €/Mwh est plausible.
  • L’ordre de grandeur total pourrait être proche de 400 €/Mwh. Les pointes extrêmes au cours desquelles le prix de marché du MWh dépasse ce prix sont très rares, tout au plus quelques heures par an.

Au plan économique, cet avant-projet ne mérite pas de se transformer en projet !

Un bilan écologique plus qu’incertain

Cet avant-projet nécessite un trou de 2 km de diamètre et environ 40 m de profondeur, soit 300 millions de tonnes de sable ou de calcaire à déplacer. Une telle quantité représente 10 cm de remblai sur une surface de 1 500 km². Un désastre écologique… Le  coût extrêmement élevé de l’investissement serait évidemment accompagné d’une empreinte carbone proportionnelle, qui rendrait le temps de retour sur CO2 investi extrêmement long, si ce n’est impossible…

Sa durée de vie est incertaine : le sable est sujet à érosion rapide par les vagues et les courants de marée. On imagine les dégâts causés par une tempête séculaire au cours d’une marée d’équinoxe… On imagine la corrosion par l’eau salée. Et aussi le « fouling » : les algues et les coquillages se développent sur tous les organes immergés hors de l’obscurité totale, problème bien connu de l’usine marémotrice de la Rance, qui ne lui a jamais permis d’être compétitive malgré des marées presque 3 fois plus fortes et un site naturel bien plus favorable dans l’estuaire de la Rance.

Rester raisonnable pour être efficace

Réduire notre dépendance à des combustibles fossiles est une nécessité évidente. Réduire nos émissions de CO2 est nécessaire si l’on s’en tient aux prévisions du GIEC. Mais pour être efficace, il faut que chaque Euro dépensé le soit à bon escient, c’est à dire en commençant par l’utilisation qui aboutit à la plus importante réduction des émissions, et/ou à la plus grande économie de ressources fossiles. Les STEPs de montagne, selon leur profil, peuvent satisfaire à ce principe. L’avant–projet belge en est très loin, et les STEPs littorales en France n’y parviendraient probablement pas non plus.

Les belges devraient donc réfléchir longuement avant d’envisager l’arrêt de leur centrales nucléaires existantes, dont le bilan carbone et écologique est incontestablement bien meilleur que celui de l'avant-projet…