mercredi 18 mars 2015

1 - La Sécurité routière : Mesure, Enjeux et comparaison




Les analyses qui suivent ont été élaborées par l’auteur du présent blog pour le Groupe de réflexion de l’amicale des anciens directeurs d’un groupe international de l’industrie automobile, qui les a discutées. Les membres du Groupe de réflexion sont tous  retraités, et n’ont donc plus d’intérêts directs dans l’industrie automobile.

Document à parcourir : « Faits et Chiffres » de l’Union Routière de France


1.1. Mesure de la sécurité routière

Différents paramètres peuvent être envisagés, mais peu sont fiables :
  • Nombre d’accidents matériels ne sont pas déclarés aux compagnies d’assurances pour éviter les malus, ou faute de partie adverse identifiée.
  • La notion de blessure est subjective, le recours à des soins pour des blessures mineures ayant très probablement augmenté depuis 40 ans. Les durées d’hospitalisation qui sont au contraire en diminution, et dépendent fortement de la motivation du blessé, n’apportent pas non plus de base fiable.
  • La notion d’IPP (Invalidité Partielle Permanente, devenue « AIPP ») pourrait être une source objective permettant de prendre en compte les invalidités en plus des décès, mais elle ne semble pas faire l’objet de statistiques.
  • Le taux de gravité (nombre de décès  en % des accidents corporels), varie peu et reste depuis 40 ans entre 5,2% et 7%. Il n’apporte pas d’enseignement sur l’évolution, très probablement en raison de l’incertitude sur le dénominateur. 
  • Un décès est presque binaire, mais pas tout à fait, en raison de sa date de survenance : les statistiques ont comptabilisé jusqu’en 2005 (date incertaine) les décès survenus dans les 8 jours après l’accident, délai qui a ensuite été porté à 30 jours, mais les historiques ont été corrigés. Par ailleurs, on ne peut pas exclure que certains décès consécutifs à un accident attribué à la vitesse excessive d’un véhicule unique ne soient en réalité des suicides, à ajouter aux 10 000 répertoriés comme tels chaque année.  Il reste néanmoins techniquement le « meilleur » paramètre. 

Le Groupe a partagé l’idée que, à défaut de statistiques sur les IPP,  le seul paramètre fiable sur l’évolution à long terme est bien  le nombre de décès.

1.2.  Enjeu de la sécurité routière

Bien que les chiffres ci-dessous soient plus ou moins fiables (multiplicité et fiabilité de sources pas toujours neutres, périodes différentes), leurs ordres de grandeur restent intéressants :

Cause de décès
Source
Nbre/an
Taux  
Appréciation
Toutes
INSEE 2011
534 600
1 000‰
Fiable
Tabac
Institut Gustave Roussy
  73 000
  136‰
Surestimés – Causes multiples
Alcool
Institut Gustave Roussy
  49 000
    92‰
Suicides
INSEE
  10 700
     20‰
Sous-estimé
Maladies nosocomiales
C.CLIN Paris-CN, PHRC, 2011
    4 200
       8‰
Cause unique
Accidents route
    3 268
       6‰
Assez fiable
Meurtres
Police et Gendarmerie
        655
       1‰
Sous-estimé
Accidents du travail
CNAM RP 2011
        550
       1‰
Assez fiable
Noyades (domest. incl.)
Secourisme revue 2009
        300
     0,5‰
Incertain

Le Groupe a été surpris de la position relativement basse des décès par accidents de la route. Sans aucun doute, sa position médiatique est supérieure, ce qui est plutôt une bonne chose pour poursuivre l’amélioration.


1.3.  Comparaison européenne

Pour caractériser le risque, on utilise le quotient du nombre de décès annuel par le kilométrage parcouru (en milliards de Km, abréviation « Tm » pout Téramètre).
Après regroupement des petits pays afin de faire porter la comparaison sur des ensembles de tailles pas trop différentes, les taux 2012 (derniers disponibles) sont les suivants :


 Sans que les différences soient criantes, la France réalise la plus mauvaise performance de l’Europe des 15. En revanche, les nouveaux états membres ont un taux radicalement supérieur. Le taux le plus élevé est en Roumanie (Taux = 41).


Le Groupe a pris acte de ces chiffres et de la relativement mauvaise performance de la France, notamment par rapport au Royaume-Uni. La circulation à gauche, fortement corrélée, ne peut pas être une cause. La Scandinavie dispose d’une très faible tolérance vis-à-vis de l’alcool, qui est sans doute une cause. Les autres réglementations sont très voisines. Les infrastructures sont de qualité équivalente. La cause de la médiocre position française n’apparaît pas clairement, mais elle est peu différente de ses voisins.

2 - Sécurité Routière : Evolution et extrapolation du risque en France


Le nombre annuel de tués est disponible depuis 1958, mais la circulation seulement depuis 1973, année à peine postérieure à la pointe des décès de 1972 qui a marqué une prise de conscience et le début des réactions. L'évolution du taux d'accidents sur 40 années depuis 1973 est le suivant (ordonnées logarithmiques):


Le modèle, en rouge, très simple, est une décroissance exponentielle de 5,7% par an, soit une division par 2 tous les 12 ans. L’écart-type par rapport au modèle est de 6,2%, et il est courant d’avoir plus ou moins 2 écarts types dans une loi de dispersion « normale » (dite de  Laplace). Il ne faut donc pas s’étonner du « bruit » sur la courbe, incluant même des hausses, heureusement moins fréquentes et moins marquées que les baisses. Les accidents ont un caractère aléatoire, sans lequel le métier d’assureur n’existerait pas ! A fortiori, l’écart-type sur un mois étant de 6,2% x √12 = 21,5%, les commentaires mensuels sur l’évolution des décès d’une année sur l’autre sont le plus souvent dénués de fondement, d’autant qu’ils ne prennent pas le trafic en compte.

Le chiffre de 2015 est provisoire : le nombre de tués  (3 464, en hausse) est connu, mais pas encore le kilométrage parcouru, qui a ici été supposé en progression de 5%, compte tenu d'une baisse des prix TTC des carburants de 10% en 2015 vs. 2014. La hausse des décès pour la deuxième année consécutive est évidemment déplorable, mais ne permet absolument pas de parler d’une rupture de tendance : le point est juste sur la courbe. En outre, le chiffre des décès inclut l'incendie d'autocar qui a fait 43 victimes, sinistre tout à fait atypique qui pèse à lui seul 1,3% de l'année.

Ainsi, on peut raisonnablement penser que l’accroissement du nombre de décès depuis l’été 2014, c’est-à-dire depuis la baisse du prix des carburants, résulte principalement d’une probable augmentation du trafic, et accessoirement du fait que la partie de la population qui cesse de retreindre ses trajets est aussi celle, moins fortunée, qui dispose des véhicules les plus anciens dont la sécurité passive est significativement inférieure. La publication des statistiques de trafic 2015 confirmera, ou non, cette hypothèse.

Reste que plusieurs pays européens, ayant plus ou moins connu les mêmes évolutions de prix des carburants, et donc de kilométrage parcouru, ont poursuivi la baisse du nombre des victimes. L'analyse de cet écart n'est pas simple. On note quand même une aggravtion plus marquées dans le réseau secondaire qui connaît des problèmes d'entretien, mais insuffisante pour pouvoir conclure.

L’auteur a pris le risque d’extrapoler le modèle jusqu’en 2016 + 10 = 2026, année au cours de laquelle, à trafic constant, le nombre de tués devrait, selon le modèle,  descendre jusqu’à 3 388 / 2 = 1 694. La loi exponentielle décroissante ayant une intégrale finie, on pourrait aussi, en l’extrapolant sans limite à partir de 2014, calculer que le nombre cumulé de décès sur les routes de 2015 à l’infini serait de 60 000, sorte de « solde de tout compte » de l’insécurité routière, qui peut être considéré avec :
  • optimisme, l’insécurité devant ainsi avoir une fin, sinon dans le temps, du moins en nombre cumulé de victimes,
  • ou pessimisme, car il faudra préalablement subir la disparition de l’équivalent de la ville de Lorient !
Ces résultats purement mathématiques ne sont qu’une indication du possible, mais en aucun cas une prévision.

En réalité, tout comme la courbe de baisse des coûts dans l’industrie automobile selon la théorie du Boston Consulting Group, cette courbe de réduction des décès n’est pas automatique, et doit être constamment alimentée :
  • Pendant quelques années, le simple remplacement des véhicules anciens par des véhicules récents poursuivra le progrès résultant des véhicules, mais deviendra vite insuffisant si de nouveaux équipements de sécurité ne sont pas introduits.
  • Si la réduction des dépenses publiques, ou l’opposition systématique d’extrémistes écologistes, se traduisait par un arrêt des investissements en infrastructures, cette source d’améliorations serait tarie.
  • L’homme restant faillible, distrait, fatigable, imprévisible, parfois agressif ou irresponsable, l’amélioration des comportements pourra se poursuivre grâce à la sensibilisation, à la répression, au changement de culture, mais ne sera pas exponentielle !
  • Les véhicules intelligents, capables de simplifier le travail du conducteur, de le surveiller, de reprendre la main si nécessaire, voire de l’éliminer, deviendront probablement la principale nouvelle source de sécurité.
  • A l’inverse, une crise économique majeure, avec arrêt des investissements publics, moindre entretien des infrastructures, vieillissement du parc, croissance des véhicules basiques, réduction des moyens d’intervention après accident, pourrait fort bien inverser la tendance à la baisse des taux. Il existe entre pays une corrélation (qui n’est pas une causalité) entre niveau de vie et sécurité routière.


3 - Sécurité Routière : Répartition du risque et des victimes


3.1.   Analyse du risque d’implication

Le tableau ci-dessous, issu de données URF, totalise, pour chaque accident corporel, le nombre de véhicules de chaque catégorie « présents », c’est-à-dire impliqués, mais pas nécessairement responsables, ni ayant transporté des victimes.


La présence moyenne est de 1,69 véhicule par accident, inférieure à 2 car un accident corporel peut fort bien survenir avec un seul véhicule : obstacle fixe ou chute en deux-roues.

La répartition des véhicules présents par catégorie est difficile à interpréter, car les véhicules les plus nombreux dans le trafic (voitures), sont évidemment plus souvent présents. Il y a donc lieu de comparer ce taux de présence dans les accidents au taux de présence dans le trafic qui figure dans les colonnes en vert. Le résultat de la comparaison figure dans la colonne de droite :
Les voitures (0,85) sont légèrement sous-représentées
Les VUL (0,30) sont étonnement sous-représentés, sans pouvoir dire s’il y a un biais : ces VUL sont souvent urbains, conduits par des professionnels…
Les VI (0,61) sont sous-représentés et les cars et bus (1,58) surreprésentés. Il y a peut-être un biais lié aux nombreux passagers des cars qui augmentent leur risque de présence.
Les deux-roues sont énormément surreprésentés. Il va de soi que dans leur cas, ils sont le plus souvent à la fois « présent » et « victime » (sans préjuger de leur responsabilité).

L’URF précise ce dernier point en indiquant par ailleurs que : « La part des motos, dans les véhicules présents, est passée […] à près de 13,5% en 2013 pour une présence dans la circulation générale qui est inférieure à 3% des kilomètres parcourus ». C’est la seule conclusion flagrante du tableau ci-dessus.


3.2.   Analyse des victimes


La partie gauche « Analyse des victimes » (Chiffres de la Prévention Routière) donne le nombre de tués et blessés dans chaque catégorie de véhicule utilisé. Sans préjuger des responsabilités, il en ressort que :
  • la catégorie « 2 roues motorisés » aboutit à 790 décès et 20 719 blessés, soit respectivement environ la moitié des tués et les 2/3 des blessés des voitures, malgré une circulation très inférieure.
  • La catégorie « énergie humaine », aboutit à 551 décès et 14 787 blessés, soit un bilan social de l’ordre des 2/3 du précédent, mais réparti sur une population beaucoup plus vaste et non sur une circulation de véhicules, ce qui rend toute comparaison impossible.
  • Le taux de gravité (% de tués parmi les accidents corporels) n’apporte guère d’information utilisable.

La partie droite (Chiffres URF) tente de rapporter ces victimes à la circulation de leur catégorie de véhicule, à ceci près que les victimes « énergie humaine » ne sont pas des véhicules dont la circulation puisse être évaluée, et qui provoquent des victimes directes. On ne peut donc établir que des taux ligne à ligne, sous-évalués car ils ne prennent pas en compte les victimes « énergie humaine », et un taux global correct, mais dépourvu d’enseignements exploitables.



Globalement, la dangerosité élevée des deux-roues motorisés, est confirmée par l’analyse des présences comme par celle des victimes.

3.3.  Analyses piétons et cyclistes « énergie humaine »

Dans les tableaux ci-dessous (Prévention routière), les accidents sont rapportés à la population par tranche d’âge, et non à la pratique par tranche d’âge qui est inconnue. Ils sont néanmoins très instructifs :

 

Ils aboutissent à un résultat surprenant : contre l’idée communément admise, les victimes de ces deux catégories sont d’abord les personnes âgées, et non les jeunes.

Pour les cyclistes, la surmortalité des personnes âgées est d’autant moins discutable que la proportion de cyclistes dans la population de plus de 75 ans  est certainement plus basse, ce qui aggrave le résultat.

Un élément d’explication est fourni par le tableau « piétons » qui comporte aussi la répartition des blessés par tranche d’âge : le taux de décès croît avec l’âge plus vite que le taux de d’accidents. En d’autres termes, le taux de gravité (colonne de droite) augmente avec l’âge.

La nature des accidents n’étant sans doute pas différente, ceci traduit probablement dans les deux catégories les problèmes propres aux personnes âgées : réflexes plus lents, moindre acuité visuelle et auditive, moindre force, ostéoporose…


Le Groupe, constitué de seniors très actifs, considère néanmoins que la surreprésentation des personnes âgées résulte bien des problèmes inhérents à celles-ci, et non de causes extérieures.  

4 - Sécurité Routière : Analyse de la vitesse, tentant d'être cartésienne



4.1.   Réflexions sur la vitesse

La vitesse est un important paramètre de la sécurité routière, car, toutes choses égales par ailleurs, elle est incontestablement une cause d’augmentation de la fréquence et de la gravité des accidents. Intuitivement, on peut penser que le taux de décès est proportionnel au carré de la vitesse (énergie cinétique à absorber), mais ceci n’est qu’une hypothèse qui reste à démontrer. Les rares cas (USA) de relèvement des vitesses maximum autorisées font plutôt apparaître une proportionnalité à la vitesse, mais ils ne sont pas « toutes choses égales par ailleurs » puisqu’ils ne sont pas simultanés et ont donc bénéficié des différents progrès sur d’autres paramètres. Dans ce qui suit, nous conserverons donc la proportionnalité au carré, peut-être un peu pessimiste.

A ce titre, la vitesse est constamment présentée comme la cause principale des accidents, et a fait l’objet d’innombrables restrictions de plus en plus sévères, qui amènent des protestations de plus en plus véhémentes des usagers. Elle suscite des débats passionnés. Cherchons à prendre un peu de recul…

Tout accident résulte d’un déplacement : si la vitesse est nulle, il n’y a plus de déplacement, et plus d’accident, mais il n’y a plus de transport routier non plus.

Ce raisonnement par l’absurde éclaire le débat : les transports routiers sont un moyen unique de se rendre d’un point à un autre (et non d’une gare à une autre) dans un temps limité. Le quotient de la longueur du trajet entre ces deux points par le temps de trajet est la vitesse moyenne. Celle-ci est réduite par les réglementations :
  • limitant la vitesse selon le lieu
  • imposant une vitesse momentanément nulle aux arrêts oblgatoires (feux, stops, etc.)

Toute diminution de la vitesse moyenne se traduit donc par une augmentation du temps de trajet, et donc par une perte relative d’intérêt du transport routier. Contrairement à tous les autres, le paramètre « vitesse moyenne » affecte le principe même du transport, et introduit un dilemme entre efficacité et sécurité.

La sécurité vise à éviter les vies perdues par la mort, gâchées par des séquelles et invalidités, ou réduites par de longues convalescences et rééducations. Mais la lenteur prive aussi les usagers d’une partie de leur vie, de leur travail, de leurs loisirs, et peut amener ainsi une perte totale cumulée globalement comparable, mais plus équitablement répartie que celle des accidents.

Si l’on cherche à poursuivre l’amélioration de la sécurité exclusivement par réduction de la vitesse, et en maintenant l’hypothèse de la proportionnalité au carré de la vitesse, on arrive au résultat suivant : Pour poursuivre la tendance à la baisse de 5,70% par an, il faut réduire la vitesse moyenne effective de 2,84% par an, c’est-à-dire de 29% en 12 ans (division par 2 des décès), et de 50% en 24 ans (division par 4 des décès). Mais qui acceptera de rouler à 65 km/h sur autoroute, à 45 km/h sur route ordinaire, à 25 km/h en ville ? En fait, cette réduction du taux serait accompagnée d’une réduction du trafic au moins équivalente !

Le groupe adhère à cette notion de dilemme, mais s’est divisé sur la réduction de vitesse maximum à 80 km/h sur route ordinaire… Il admet que la limitation de vitesse est une nécessité, mais qu’elle ne peut, à elle seule, apporter la poursuite de l’amélioration.

4.2.   Les circonstances de la vitesse

On remarque aussi que la mention « toutes choses égales par ailleurs » en tête chapitre 4. ci-dessus n’est, dans la pratique, que très inégalement vérifiée. Ainsi :
  • Les autoroutes sont à la fois les voies les plus rapides et de très loin les plus sûres.
  • Depuis l’année 1972 qui a connu le triste record proche de 18 000 morts sur les routes de France, le nombre de décès par kilomètre a été divisé par 10. Or la vitesse effective moyenne n’a certainement pas baissé, car, en 1972 : 
    • ni les véhicules du parc (Renault R4, R8, R12 et R16, Peugeot 204, 404 et 504, Citroën 2 CV, Ami 6 et 8 et DS19, Simca 1300), à l’exception des DS19 et 504 
    • ni les infrastructures (1 500 Km d’autoroute au lieu de 13 000) ne permettaient de rouler aux vitesses de croisière actuelles!
  • De manière plus générale, si l’on compare entre eux les différents moyens de transport, il n’existe aucune corrélation, et donc aucune causalité, entre leur vitesse et leur risque. Leur position dans un plan (bi-logarithmique) Risque vs. Vitesse, non limité à la route, ni à la France, est très intéressante :


Une réserve doit être apportée : la dangerosité de la marche, et à un moindre degré du vélo,  résultent peu de leur propre vitesse, mais principalement de celle des autres véhicules, et donc du lieu de pratique. Mais elle peut aussi résulter en partie du comportement des piétons et cyclistes. 

4.3. Enseignements de la Formule 1

Elle constitue une approche limitée, mais totalement indépendante, comme « en laboratoire » où l’on peut observer ce qui se passe sans agir sur le paramètre « vitesse ». Les statistiques de décès en compétition des pilotes de F1 par décennie sont les suivantes :


Après 40 ans de « combats de gladiateurs », et le décès d'Ayrton Senna en 1994, aucun accident mortel n’est survenu pendant 20 ans. L’accident du 5 octobre 2014 au Grand Prix du Japon, de Jules Bianchi qui est toujours dans le coma, est ci-dessus assimilé à un décès. S’agissant d’un « sur-accident » résultant d’un accident matériel précédent, il montre que la route reste longue pour éliminer tous les facteurs de risques combinés, mais il ne change pas  la tendance.

Si la conception de ces bolides a été réglementée à maintes reprises, leur vitesse maximum et restée à peu près constante, au-delà de 300 km/h. Manifestement, le pilote continuant à rechercher la vitesse avant tout, les causes de l’amélioration spectaculaire appartiennent ici à deux familles :
  • Les véhicules : sécurité passive, habitacles indéformables en carbone, harnais, casques, combinaisons…
  • Les infrastructures : suppression des obstacles dangereux, adaptation des circuits…

Notons que les pires périodes de la F1 et de la route, autour de 1970, ainsi que leurs améliorations radicales, coïncident en raison de la prise en compte simultanée de la sécurité lors de la conception des véhicules et des infrastructures.

On est tenté d’en conclure que l’amélioration de la sécurité routière résulte plus des véhicules et des infrastructures que des comportements, mais cette conclusion relève de l’analogie et n’est pas scientifique.


Le Groupe est convaincu que la F1 apporte la preuve de l’influence considérable des véhicules et de l’infrastructure sur la sécurité, ce qui ne signifie en aucun cas que l’amélioration des comportements puisse être négligée en circulation usuelle.

5 - Sécurité routière : analogie avec la qualité automobile?

Les accidents sont des événements, toujours trop fréquents compte tenu de leurs conséquences dramatiques, mais statistiquement rares : avec 1 décès par 200 Gm x Véhicule  (Gigamètre = million de kilomètres) parcourus, l’énorme majorité des trajets est effectuée sans accident matériel, une infime minorité entraîne un ou plusieurs décès. La réduction de leur fréquence et de leur gravité est donc rendue difficile par cette rareté, qui résulte souvent de la coïncidence de plusieurs facteurs, car toute amélioration ne servira que très rarement, et doit donc être à la fois peu pénalisante en général, et néanmoins efficace.

L’analogie avec la qualité automobile est frappante : les non-qualités, analogues aux accidents, se comptent en « ppm » (parties par million). L’objectif « zéro défaut » doit être obtenu par une meilleure maîtrise de la conception, des matières premières, du procédé de fabrication, de l’action des opérateurs (qui doit être ergonomique, et aussi réduite que possible parce que l’homme ne cessera jamais d’être faillible), du contrôle le plus automatisé possible, d’une logistique sûre et d’une traçabilité parfaite, mais jamais au détriment du prix de revient ou du délai.

La qualité automobile a progressé beaucoup plus vite que la sécurité routière, sans doute un facteur 10 entre les deux : en 40 ans, le taux d'accident a été divisé par 10, mais le taux d'équipements défectueux dans une production de série a été divisée au moins par 100. Elle est tout aussi complexe, les causes de défauts étant innombrables. Mais la culture de qualité s’est imposée de  façon logique, instruite par l’analyse systématique des non-qualités constatées, sans passion inutile, dans une ambiance hautement professionnelle. On a compris que la coercition ou la motivation sont inopérantes en-dessous d’un certain seuil, et qu’il faut rendre l’erreur impossible.

Le plus souvent, après un accident de la route, même grave, les barèmes simplistes des compagnies d’assurance s’appliquent, et les causes réelles ne sont ni analysées, ni même connues. Uniquement s’il y a un décès, ou une action pénale à l’initiative d’une des parties, l’analyse faite par le Ministère Public s’appuyant sur la Police ou la Gendarmerie est une enquête pénale qui recherche les responsabilités liées aux infractions, sans recherche des causes réelles, très souvent multiples.

L’analyse des accidents par des « qualiticiens » issus de l’industrie automobile permettrait probablement l’élaboration de solutions rendant leur répétition sinon impossible, du moins très improbable, avec une efficacité accrue par un meilleur ciblage des actions. Ainsi des notions peu utilisées, comme le différentiel de vitesse et la distance entre véhicules, notamment deux-roues motorisés, sont des paramètres probablement plus importants que la vitesse absolue.

Le Groupe approuve l’analogie proposée, mais ne voit pas la possibilité  de la mettre en pratique de façon simple, sinon en la faisant connaître, ce qui est ici notre objectif.




6 - Sécurité Routière : Corrélation et causalité

Les dispositifs (sur véhicules), agencements (des infrastructures) ou réglementations (des comportements) qui contribuent à la sécurité routière sont très nombreux et se sont additionnés depuis 40 ans. Ils ont globalement réussi, puisque le taux d’accidents a été divisé par 10, sans que l’on puisse imputer précisément cette amélioration globale à chacune de ses très nombreuses causes, d’autant qu’il s’écoule inévitablement beaucoup de temps entre :
  • L’apparition d’un dispositif  (Ex : ceinture de sécurité, airbag), sa généralisation sur les véhicules neufs, son utilisation effective par les usagers, et la sortie du parc des véhicules non équipés.
  • Le lancement des améliorations d’infrastructures (Ex : autoroutes, ronds-points), leur généralisation apportant des résultats, et leur impossible achèvement.
  • L’adoption d’une réglementation (Ex : 50 Km/h en ville), son acceptation par les usagers, son passage dans la culture qui nécessite souvent des mesures coercitives (radars dont l’installation a demandé plusieurs années), le cumul de leurs effets (pertes de points) et la réduction du nombre de réfractaires.


Dans ces conditions, prétendre « lire » sur la courbe des décès l’effet du dispositif, de l’agencement, ou de la réglementation analysée, relève en réalité de la divination : chacun peut y trouver ce qu’il a envie d’y trouver, et ne s’en prive pas, alors que le paramètre majeur du trafic n’est même pas pris en compte !

Le taux d’accidents est en effet une fonction extrêmement complexe de très nombreux paramètres appartenant aux 3 familles citées ci-dessus. S’il était possible, comme en physique expérimentale, de faire varier chaque paramètre séparément, et d’observer son influence sur le taux d’accidents, on pourrait élaborer une stratégie de sécurité aux moindres coûts et contraintes. Il n’en n’est rien : depuis 40 ans, tous les paramètres ont été modifiés en même temps, et l’on ignore quel a été l’effet précis de chacun d’entre eux, ce qui est très frustrant.

De très nombreuses études statistiques tentent de pallier à cette lacune en établissant des corrélations entre les accidents et la présence ou l’absence de tel ou tel dispositif (ceinture de sécurité bouclée par exemple), agencement (rond-point remplaçant un carrefour), ou comportement, et présentent ces corrélations comme des causalités, alors qu’il existe souvent des biais considérables et plus ou moins bien connus. Ainsi, un dispositif de sécurité optionnel (Ex : avertisseur de changement de voie) pourrait se voir validé par la réduction des sinistres sur les véhicules équipés, en oubliant le biais, peut-être primordial, que cette option a été adoptée par des utilisateurs plus préoccupés de sécurité, et donc plus prudents.

Les analyses de ce type ne sont pas nécessairement fausses, mais leurs conclusions sont à prendre avec une très grande prudence, particulièrement quand leur auteur n’est pas neutre pour toutes sortes de raisons : intérêt économique, politique, militantisme de tous bords…. 


Le Groupe n’a pas eu le temps de débattre de  ce dernier point