mercredi 22 février 2012

L'écrêteur Voltalis : écologique, civique ou abusif?




Table des matières du blog


Ce petit boîtier "Voltalis" qui commence à se répandre apparaît bien mystérieux et pose d’autant plus de questions que son promoteur, la société éponyme, qui n’est pas EDF, reste très discrète sur son mode de fonctionnement, se limitant à affirmer qu’après une fourniture et une installation gratuites, il est capable  de réaliser des économies pour l'abonné en différant certaines consommations, et de réduire ainsi les émissions de CO2.

Les commentaires de la presse comme des forums en ligne montrent que la plupart des commentateurs n’a pas bien compris son fonctionnement. Plus curieusement, la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) n’a pas compris (ou pas voulu comprendre) non plus. Finalement, le Conseil d’Etat a compris et a autorisé cette initiative qui marque la véritable entrée de la révolution numérique dans la tarification électrique.

Contexte

Il est vrai que pour comprendre son fonctionnement, qui est assez complexe, il faut commencer par se convaincre que :
  • A l’échelle d’un réseau, l’énergie électrique ne peut pas être stockée : la production doit être à chaque instant exactement égale à la consommation. Le seul mode de stockage possible est sous forme hydraulique, dans des centrales de haute chute réversibles, mais leur capacité reste limitée faute de sites géographiques possibles.
  • La tarification du KWh fixe, ou variable par paliers, résulte de l’histoire et de la loi, et cache la réalité d’un coût de production du MWH qui peut varier rapidement et dans de larges proportions.
  • Cette variabilité dépend des moyens de production mobilisés pour satisfaire la demande, dont l’essentiel est en France fourni par la filière nucléaire, à laquelle s’ajoutent, pour une très faible part, les filières dites « fatales » (hydraulique au fil de l’eau, éolien, photovoltaïque) dont ont ne maîtrise pas la survenance, souvent à contre-cycle, mais dont le coût marginal du MWH produit est très bas ou nul. Ces filières réunies ne peuvent satisfaire :
    • Ni une pointe de consommation, notamment en hiver, pouvant être violente (102 GW en février 2012), et atteindre le double de leur capacité maximum qui est d’environ 55 GW.
    • Ni un accroissement rapide de consommation quotidienne que la filière nucléaire ne peut pas suivre en raison de l’inertie de ses réacteurs et de leur moindre rendement à puissance partielle.
 Ce graphe en GWh par semaine ne donne pas les crêtes instantanées. 10 000 GWh par semaine = 60 GW en moyenne.
Les deux graphes ci-dessus d’origine EDF. Sur le second, le zéro est décalé : variations hebdomadaires de 30 à 52 GW, quotidiennes ouvrées de 38 à 52 GW.

Il s’en suit que ces deux circonstances amènent les opérateurs, principalement EDF, à utiliser :
  • des centrales hydrauliques éclusées ou de lac, dont on maîtrise la production et dont le coût est extrêmement bas, mais qui sont malheureusement limitées par la géographie
  • des centrales thermiques fonctionnant avec des énergies fossiles (gaz, charbon, fioul) coûteuses et émettrices de CO2, qui doivent être amorties sur une courte durée d’utilisation annuelle,
  • de l’énergie électrique achetée sur le marché libre, dans lequel les opérateurs échangent des lots d’énergie donnés dans un intervalle de temps donné, à des prix qui peuvent être extrêmement variables selon l’offre et la demande, sans stock tampon qui puisse modérer les cours.
Le graphe ci-dessous (établi par l’auteur), donne les ordres de grandeur des occurrences des différentes puissances consommées et produites de 25 à 102 Gw, et les coûts et tarifs publics correspondant. Notez bien que l'occurrence 0% correspond à la crête maximum instantanée, et l'occurrence 100% à une puissance égale au minimum observé.


On y observe :
  • La large variation de la demande au cours du temps
  • Les coûts marginaux du KWh supplémentaires extrêmement variables (ordres de grandeur) dans les puissances élevées
  • Les coûts unitaires, dans chaque tranche d’occurrence, moins variables grâce à la part du nucléaire et de l’hydraulique qui reste importante
  • Les marges considérables d’EDF sur le tarif détail HT, explicités ci-dessous, alors même que ce graphique ne prend pas les abonnements en compte.
Ecrêter les pointes

Dans ce contexte, EDF a depuis longtemps cherché à faire varier le tarif de la consommation en fonction de l’heure ou de la date :
  • Le tarif P/C établit :
    • le prix TTC  des 16 heures pleines à 130 €/MWh,
    • et celui des 8 heures creuses à 90 €/MWh,
    • à comparer aux 120 €/MWh  du tarif de base à prix constant.
    • L’incitation est faible, et ne porte que sur l’heure, ce qui n’a aucun sens en été.
  • Le tarif Tempo, qui a succédé au tarif EJP créé dans les années 80, porte à la fois sur le critère quotidien P/C et sur les jours de pointe dans l'année, en définissant :
    • 300 jours bleus beaucoup moins cher que le tarif P/C,
    • 43 jours blancs à prix moyen, et
    • 22 jours rouges très chers en heures creuses à 190 €/MWh, et carrément dissuasifs en heures pleines à 500 €/MWh !
    • La couleur est annoncée avec un préavis de 8 heures. Il contribue efficacement à l’écrêtement, mais est contraignant pour l’utilisateur. A l’époque de la révolution numérique, il apparaît simpliste, car une pointe ne dure pas toute la journée, mais plutôt quelques heures.
On imagine facilement une tarification continûment variable du KWH quand  les filières nucléaire et hydraulique ne suffisent pas à la production, soit environ 20 à 30% du temps. Elle permettrait à l’utilisateur final de paramétrer le prix maximum auquel il souhaite acheter son énergie électrique selon son utilisation, ce qui revient à différer sa consommation jusqu’à ce que, une fois la pointe passée, le prix variable baisse, en dessous du prix paramétré :
  • un chauffage peut s’arrêter 1 à 2 heures sans gros inconvénient
  • un chauffe-eau peut être différé d’une demi-journée sans effet apparent
  • demain, le rechargement d’un véhicule électrique pourra se faire au cours de la nuit.
Un tel système demande évidemment un minimum d’intelligence numérique, et des règles contractuelles strictes relatives aux coûts variables et à leur moyenne.

Il est surprenant qu’ERDF, opérateur historique et dominant, n’ait pas cherché à aller dans cette direction. Les contraintes réglementaires et politiques y sont sans doute pour quelque chose. On peut se demander si une structure plus réactive, plus autonome, plus concernées par ses coûts et la rentabilité de ses investissements, en un mot soumise à une concurrence plus vive, ne l’aurait pas déjà fait. Le nouveau compteur "Linky" va néanmoins dans le bon sens.

 Voltalis, comment çà marche ?

Ce petit boîtier, connecté en CPL (Courant Porteur en Ligne, qui utilise les lignes 230 V pour transmettre des informations grâce à des tensions alternatives de 8 à 150 KHz superposées au 50 Hz), est capable, via des contacteurs appropriés installés gratuitement chez les particuliers, de couper ou de rétablir certaines sections (section = ensemble des consommateurs électriques en aval d’un même disjoncteur modulaire) selon des instructions transmises en GPRS (General Packet Radio Service = Transmission de données par téléphone GSM) par la plate forme centrale de la société Voltalis. Ceci concerne principalement les sections de chauffage électrique ou de chauffe-eau à accumulation.

Ce système Votalis est indépendant de l’opérateur, ERDF ou autre, qui continue à fournir l’énergie électrique et à la facturer au tarif en vigueur selon le type de contrat (Base, P/C, Tempo). Il n’a pas pour objet principal de réduire l’énergie consommée, bien que cela puisse se produire, mais plutôt de différer le moment de la consommation afin de réduire la pointe. Voltalis détient donc ainsi, par les boîtiers installés chez ses abonnés, le pouvoir de procéder à une réduction instantanée de la consommation de tout ou partie de ses abonnés, qui s’appelle, dans le jargon de la distribution électrique, un effacement diffus. En aucun cas Voltalis n’achète ou ne vend d’énergie électrique.

En cas de montée de la puissance consommée :
  • soit trop élevée pour être couverte par les moyens économiques, ou même simplement couverte,
  • soit trop rapidement croissante pour pouvoir être couverte par la montée en puissance lente de la filière nucléaire,
l’opérateur de production ou de distribution a le choix entre :
  • mettre en service ou faire monter en puissance des moyens de production plus coûteux,
  • acheter au prix fort à un autre opérateur l’énergie dont il dispose,
  • acheter ou obtenir une économie déterminée (effacement) auprès d’industriels gros consommateurs qui ont accepté de ce type de contrat,
  • acheter un effacement diffus à Voltalis
Dans ce denier cas, Voltalis exécute son contrat en déconnectant certaines  des sections de ses abonnés pendant un temps déterminé, et facture sa prestation qui évite à l’opérateur client des coûts et des moyens supplémentaires peu utilisés. Il agit donc en négociant de « Négawatts » fournis gratuitement par ses abonnés, et qui ne coûtent rien à ces derniers.

Intérêt et limites de Voltalis

Le système Voltalis est intéressant à deux titres, car il permet la réduction :
  • des investissements de production électrique par écrêtage des pointes.
  • des émissions de CO2, non par réduction de la consommation globale, mais par meilleure utilisation des filières de production non émettrices, principalement nucléaire et hydraulique, accessoirement éolienne.
Il mérite donc la qualificatif d'écologique 

En revanche, l'intérêt de l'abonné dans cette organisation est des plus limités :
  • Si la consommation est simplement différée, comme dans le cas typique d'un chauffe-eau à accumulation, l'abonné ne réalise strictement aucune économie, puisque l'énergie consommée et son tarif de facturation sont en général identiques pendant et après la coupure. Il ne subit non plus aucun inconvénient, sauf si l'eau du chauffe-eau est entièrement froide. Il a alors le choix entre se laver à l'eau froide et réaliser l'économie correspondante, ou différer le moment où il se lave, et n'en réaliser aucune.
  • Si la consommation est réduite, par exemple par une coupure du chauffage électrique suffisamment longue pour amener une baisse de température perceptible, il réalisera une économie correspondant à cette baisse pendant sa durée (moins de pertes thermiques quand la température du logement est plus basse), mais ne correspondant pas à l'energie non consommée pendant la coupure, puisque par la suite, la consommation sera majorée par la remontée en température du logement à son niveau de consigne.
En d'autre termes, l'abonné Voltalis ne réalisera d'économies que sur la quantité d'énergie qu'il n'aura pas consommée, mais aucune sur le prix de l'énergie consommée.
Il lui restera néanmoins la satisfaction d'avoir agi pour le bien de la planète, de Voltalis et des opérateurs, notamment ERDF. 


Cet abonné mérite donc d'être qualifié de civique.

Il est anormal qu'il ne soit pas associé à l'avantage économique résultant de l'utilisation de moyens de production moins coûteux. Autrement dit, Voltalis vend avec 100% de marge brute les "négawatts" qui lui ont été fournis gratuitement par ses abonnés. 


Comme il n'est par sûr que les abonnés aient conscience de cette répartition léonine des marges,
ce système peut être considéré comme abusif.

Une fois démystifié, ce modèle économique, qui implique trois parties (Abonné, Voltalis et l'opérateur), ne pourra perdurer et se développer que si Voltalis reverse aux abonnés une partie des "négawatts" facturés aux opérateurs, en conservant un marge brute légitime, par exemple 50% ou plus, car il doit notamment amortir la fourniture et l'installation de ses boîtiers chez les abonnés.

Même dans cette hypothèse, la limite du système Voltalis réside dans le fait qu’il exploite les failles d’une tarification des opérateurs, et notamment d’ERDF qui est trop déconnectée de la réalité du marché des échanges d’énergie et des variations du prix de revient marginal du MWh. Mais les opérateurs conservent la possibilité d’introduire des tarifs plus appropriés, notamment avec prix continument variable selon des règles contractuelles préétablies, permettant de réduire pour l’abonné le coût moyen de l’énergie électrique en contrepartie d’une dissuasion de la consommation en pointe par effacement de certaines utilisations.

Cette voie, qui reste à explorer et à promouvoir, a certainement un grand avenir. Voltalis n’en n'est sans doute que le premier... faux-pas.

jeudi 16 février 2012

Comparaison couples moteurs / hélice

Complément au message sur la propulsion électrique des voiliers

Nous avons reporté sur un même graphique les courbes de couples en % du couple à vitesse maximum (Point M) de 3 moteurs:
- le diesel Yanmar 3GM30
- le diesel Volvo D1-30
- un moteur électrique à courant continu (ou "brushless") de même puissance
- et d'une hélice adaptée à cette puissance


En abscisses, la vitesse de rotation de l’hélice, exprimée en % de la vitesse de rotation à puissance maxi. Ce n’est pas la vitesse du bateau, qui n’est pas exactement proportionnelle.

En ordonnées : les couples :
- Maximum du moteur Volvo D1-30 (21kw au point M)
- Maximum d’un moteur électrique de même puissance que les deux diesel (21kw au point M)
- Maximum du moteur Yanmar 3GM30 (21kw au point M)
- Requis par l’hélice, et fourni par le moteur, qui décroît très vite quand la vitesse de rotation baisse.
- Maximum d’un moteur électrique de puissance moitié. (10,5kw au point P)
Tous exprimés en % du couple à vitesse maxi (au point M)

En traits fins noirs : les lignes d’égale puissance à 10%, 25%, 50%, 75% et 100% = 21kw

On voit clairement que :

Un moteur électrique de même puissance que les diesel (21kw au point M) conviendra parfaitement et assurera les mêmes performances, pas plus, pas moins. Son couple n’est pas supérieur. Le maintien de ce couple aux très basses vitesses ne sert à rien. Il sera plus silencieux.

Un moteur électrique de puissance moitié (10,5kw au point P) aura par  exemple (graphique) un couple à 59% et une vitesse de rotation à 85%, puisque 59% x 85% = 50%. Selon la conception du moteur, on peut déplacer le point P sur la courbe iso-puissance 50% (pointillé mixte fin) ce qui fait varier couple et vitesse en sens contraire, sans en changer le produit qui est la puissance.
Comme pour n’importe quel moteur :
- Une hélice « adaptée » permettra la meilleure vitesse maximum
- Une hélice de pas un peu plus court augmentera la poussée à basse vitesse au détriment de la vitesse maximum.
Ce moteur convient aux situations courantes, mais n’est pas équivalent !
On s’en apercevra de préférence par mauvais temps !

mercredi 15 février 2012

Rendement des filières de production électrique

Le rendement est, pour chaque filière, le rapport entre l’énergie électrique produite et l’énergie primaire utilisée. Sa comparaison entre technologies n’a que peu de sens, car leurs énergies primaires sont de natures et de coût très différents. (Attention à des utilisations fantaisistes du mot « rendement », notamment au sens de taux de taux de disponibilité de la puissance installée, qui n’a rien à voir avec un rendement).

Lorsque l’énergie primaire est gratuite ou peu chère, le rendement devient moins important, mais conserve quand même un impact sur :
·        l’investissement qui devra, pour une même puissance produite, être majoré si le  rendement est moins bon (éoliennes, photovoltaïque),
·        la quantité d’énergie primaire qui peut être gratuite, mais pas illimitée (hydraulique).

A l’exception du photovoltaïque, toutes les filières passent par l’énergie mécanique, qu’un alternateur convertit en énergie  électrique. Le rendement des alternateurs est de très bon (petites puissances) à excellent (pertes très inférieures à 0,1%) sur les grosse puissances. Ce rendement est un peu pénalisé dans les éoliennes dont la vitesse variable  et lente nécessite un multiplicateur mécanique de vitesse à plusieurs étages, et un convertisseur de fréquence.

Les filières dont l’énergie primaire est mécanique on un rendement qui est :
·        moyen pour les éoliennes, de l’ordre 40% de l’énergie cinétique du vent dans le cercle balayé par l’hélice,
·        bon pour les centrales hydrauliques (autour de 90% selon les configurations),

Les filières électrothermiques partent d’une source de chaleur (à la température T1 la plus élevée possible), d’origine soit chimique (combustion de charbon ou d’hydrocarbures), soit nucléaire, et transforment cette chaleur en énergie mécanique grâce à :
·        un moteur à combustion interne (gaz ou hydrocarbure) en petites puissances
·        une turbine à combustion interne (turbine à gaz ou à fuel)
·        une turbine à combustion externe, le plus souvent à vapeur d’eau surchauffée :
o   soit dans une chaudière, par la combustion (thermique)
o   soit dans un échangeur lui-même alimenté par l’eau primaire (nucléaire)

Toutes les filières à combustion externe nécessitent aussi une « source froide », à une température T2 aussi basse que possible : cours d’eau, mer ou tour de réfrigération atmosphérique qui refroidit la vapeur, éventuellement saturée en fin de cycle afin d’améliorer le rendement.

Dans les moteurs à combustion interne, la source froide est à la température T2 des gaz d’échappement, que l’on ne maîtrise pas.

Dans tous ces cas, le rendement est déterminé par le 2ème principe de la thermodynamique, dit de « Carnot-Clausius », selon lequel le rendement ne peut excéder un maximum égal à 1  - T2/T1 (en degrés Kelvin, soit Celsius + 273). Toutes ces filières ont donc des rendements limités dont l’ordre de grandeur est :

·        40% pour les centrales thermiques à combustion interne (turbine à gaz ou moteurs) : T2 à l’échappement trop haut. Dans les centrales de cogénération, cette chaleur ramenée à la source « froide » est réutilisée, notamment pour du chauffage urbain.

·        40% pour les centrales thermiques à combustion externe (turbines à vapeur) : T1 en sortie de chaudière trop bas.

·        35% dans les centrales nucléaires, en raison de la présence, entre l’eau primaire et l’eau secondaire, d’un échangeur qui réduit encore  T1.

·        Plus de 55% pour les nouvelles centrales thermiques de pointe à cycles combinés, constituées d’une turbine à gaz suivie d’une turbine à vapeur, qui autorisent simultanément T1 haut et T2 bas.

La comparaison des rendements ci-dessus a peu de sens : le coût du combustible et l’émission de CO2 des centrales thermiques n’ont pas ou peu  d’équivalent dans les centrales nucléaires dont le rendement n’est donc pas un paramètre primordial.

Le rendement du photovoltaïque est le rapport entre l’énergie lumineuse reçue du soleil et l’énergie électrique produite. Dans les meilleures conditions, un panneau reçoit 1342 w/m², et fournit 15 à 40 w/m² électriques, soit un rendement bas, de 5% (silicium amorphe) à 15% (silicium cristallin), mais qui n’a qu’une importance relative : les panneaux sont coûteux, mais le soleil est gratuit et illimité

samedi 11 février 2012

Enseignements du rapport de la Cour des Comptes



Suivre le lien pour consulter la synthèse de ce rapport


Abréviations : K= milliers, M= Millions, G=milliards, T=Trillions)
Numérotation des paragraphes du rapport : Partie.Page - Titre



Les enseignements du rapport de la Cour des Comptes sont uniquement d’ordre économique, puisque les domaines tels que l’environnement, la radioprotection ou l’indépendance énergétique ne sont pas abordés et ne relèvent pas de la Cour. Nous nous limiterons donc ci-dessous à l’économie.

Le coût complet du MWh nucléaire ressort du simple au double, selon les cas et méthodes d’évaluation :
  • constaté par la comptabilité d’EDF :                                                     33 €/Mwh.
  • projeté sur les 15 prochaines années sur la base du parc actuel :         33 €/Mwh
  • dans l’hypothèse d’un loyer constant des installations actuelles :        50 €/Mwh
  • prévu pour l’EPR tête de série :                                                              80 €/Mwh
  • prévu pour les EPR suite de série :                                                         70 €/Mwh
Ces coûts sont plus élevés que l’estimation antérieure, en raison:
  • principalement des coûts de renforcement de la sûreté post-Fukushima,
  • mais aussi de la réévaluation des coûts ultimes : démantèlement et stockage géologique.
Rappelons qu’ils intègrent tous les frais, coûts et investissements passés, actuels, et à venir. Ils assurent non seulement le renouvellement du capital (amortissements), mais aussi sa rémunération (bénéfice). Compte tenu de la très longue durée de vie, il n’est pas surprenant que le coût dépende lourdement du mode de financement.

Traitons séparément les cas :
  • du parc actuel de réacteurs
  • de Flamanville dont la mise en service est prévue en 2016
  • des EPR suite de série pouvant être lancés ultérieurement
Parc actuel de réacteurs

Hors exploitation, il a amené, ou amènera, selon la Cour, les investissements suivants :
  • Investissement cumulé (1.7) :                                      121 G€
  • Coût de démantèlement prévu (1.9) :                           18,4 G€
  • Couts de stockage géologique (1.10) :                         26 G€ (moyenne des devis ANDRA)
  • Investissements de maintenance (1.10) :                       55 G€
Les 3 premières lignes, soit 165 G€ bruts, seront de toutes façons dépensées, quelle que soit la décision d’arrêter, de poursuivre l’exploitation jusqu’à 40 ans, ou de prolonger si possible la durée des réacteurs au-delà de ces 40 ans.
Seule la dernière ligne de 55 G€, qui pourrait être évitée par un arrêt à très court terme, est donc à prendre en compte dans la décision.

L’exploitation est explicitée (1.18) : 22 €/MWh.
Ceci est à nouveau un coût complet avant amortissement. Il comporte des frais fixes : Directions centrales, (872 M€), et une taxe spécifique (1 176 M€) qui ne sera plus payée si la production   s’arrête, et s’apparente donc à un bénéfice au profit de l’Etat, et non à un coût. L’élimination de ces deux composantes ramène ce coût variable à 17 €/MWh.

Par rapport à l’arrêt, la poursuite de l’exploitation :
  • amènera à dépenser 55 G€ de mise à niveau de sûreté  sur 15 ans
  • produira 408 TWh par an pendant 15 ans pour un coût de 17€/MWh, soit 104 G€.
  • le coût total sera donc 55 G€ + 104 G€ = 159 G€
  • la production sera de 408 TWh/an x 15 ans = 6 120 TWh
  • le coût unitaire réel sera 159 000 / 6120  = 26 €/MWh
Malgré la prise en compte des investissements post-Fukushima, aucune source d’énergie ne peut offrir un coût aussi bas, et de loin! Il serait donc économiquement absurde d’arrêter cette filière au profit d’une autre à créer, au motif que les frais d’investissement et ultimes sont trop élevés, parce qu’ils sont de toutes façons inéluctables.

Flamanville

Ce réacteur, prévu pour une durée de vie de 50 ans, est à un stade avancé de sa construction. L’hypothèse selon laquelle 90% de ses coûts d’étude et de construction ont déjà été dépensés, ou ont au moins été engagés sans possibilité de dédit, est raisonnable. Sur un coût total probable de 6 G€, il s’en suit que son abandon immédiat ne permettrait d’économiser qu’environ 0,6 G€.
Ci-dessous, image de cet ERP achevé sur photo, d’origine EDF.


La Cour apprécie le coût de démantèlement du parc actuel à 18,4 G€, à rapporter à l’investissement correspondant de 121 G€, soit 15%.
Utilisant le même ratio faute de mieux, le coût du démantèlement de Flamanville après utilisation serait de l’ordre de 90 M€. Une durée de vie de 50 ans, avec un coefficient d’actualisation de 5% par an, introduit un coefficient global de (1-5%)50 =0,08. Le coût actuel du démantèlement futur est donc de 7 M€.
Un abandon immédiat du réacteur avant mise en service réduirait (de moitié, soit 45 M€ ? des trois quarts soit 22 M€ ? des 9/10èmes, soit 9 M€ ?) le coût de démantèlement car non radioactif, mais rendrait celui-ci immédiat. Il n’y a donc aucune économie à en attendre.

La Cour cite les devis ANDRA relatifs au stockage géologique pour le parc actuel. Il ressort, sur la base de la moyenne des devis ANDRA, à 23 + 26 = 49M€, rapportés à l’investissement de 121 M€, à 40%. L’application de ce ratio à l’EPR, plus cher car plus compliqué et plus sûr, mais qui ne produit pas plus de déchets, est très pessimiste. Faisons là néanmoins. Elle aboutit à un coût futur du stockage géologique de 6 G€ x 40% = 2,4 G€. Après actualisation comme ci-dessus sur 50 ans, ce montant est ramené à 0,2 G€. Ce montant serait entièrement économisé si le réacteur n’est pas mis en service.

Récapitulons, comme pour le parc actuel, le surcoût de l’achèvement et utilisation pendant 50 ans par rapport à l’abandon avant mise en service :
  • Investissement : 0,6 G€
  • Démantèlement : 0 G€
  • Stockage géologique : 0,2 G€
  • Coût d’exploitation supposé identique au parc actuel : 22 €/MWh
  • Production sur 50 ans à 75% de puissance nominale :1600 MW x 86400 x 50 x 75% = 5 184 TWh
  • Amortissement du surcoût (0,6 + 0,2 = 0,8 G€) sur la production : 0,15€/MWh, négligeable.
Il en ressort qu’une décision d’arrêt avant mise en service de Flamanville aboutirait à se priver pendant 50 ans d’une énergie dont le coût marginal est hyper-compétitif à 22 €/MWh, et serait donc encore plus absurde que l’arrêt prématuré du parc existant.

EPR de série suite de Flamanville
Contrairement aux cas précédents, où les réacteurs existent ou sont déjà largement engagés, et s’agissant de la décision de lancer un ou des nouveaux réacteurs, il y a lieu de prendre en compte les coûts complets incluant le renouvellement et la rémunération du capital.
La Cour a ainsi évalué le coût complet de l’énergie produite à 70 €/Mwh.

Si l’on se limite à comparer les coûts au MWh,  ce prix reste compétitif, largement plus cher que l’hydraulique dont les capacités sont malheureusement limitées par la géographie, au niveau des centrales thermiques à charbon, un peu moins cher que les nouvelles centrales à gaz à cycle combiné, et beaucoup moins cher que les énergies dites vertes, éolienne et photovoltaïque.

Comparaison des  MWh

Mais cette comparaison directe du coût des MWh produits est très peu significative.

Elle le serait si tous les moyens de production produisaient des MWh aboutissant à un stock d’énergie dans lequel les consommateurs viendraient s’approvisionner, ainsi que cela se produit pour pratiquement tous les produits industriels. Dans ce cas, le choix entre filières s’effectuerait principalement sur la base du coût complet du MWh.

Malheureusement, l’énergie électrique s’apparente plutôt à un service, qui doit être fourni et consommé simultanément, parce  qu’elle ne peut pratiquement pas être stockée :
  • Le seul stockage possible, très limitée, est sous forme d’énergie mécanique potentielle par pompage d’eau vers le lac supérieur de centrales hydrauliques réversibles de haute chute.
  • Le stockage sous forme d’hydrogène obtenu par électrolyse, préconisé par certains, a un rendement désastreux qui multiplie par 3 le prix de initial de l’énergie et y ajoute des coûts monstrueux de compression et de stockage.
  • A l’échelle d’un réseau, les batteries d’accumulateurs ne sont absolument pas envisageables : prix, volume, durée de vie, impact environnemental.
Le  problème de la production électrique n’est donc pas de « fournir de l’énergie (MWh) n’importe quand », mais bien de « fournir à chaque instant exactement la puissance (MW) dont les utilisateurs ont besoin », et ce besoin de puissance varie dans des proportions considérables, de 20 Gw  à 100 Gw en instantané, avec une moyenne vers 50 Gw au niveau de l’utilisateur.

Pour ce faire, EDF dispose de filières de production variées, qui peuvent être classées par ordre de souplesse décroissante comme suit :
  • Hydraulique de haute chute réversible : puissance immédiatement disponible à la demande, facile à régler, y compris en valeurs négatives (stockage d’énergie par pompage), et à arrêter.
  • Hydraulique de haute chute ou éclusée : puissance immédiatement disponible à la demande, facile à régler, et à arrêter.
  • Centrales thermiques au gaz : puissance disponible à la demande en quelques minutes, facile à régler, et à arrêter.
  • Centrales thermiques au charbon : puissance disponible à la demande en quelques heures, faciles à régler et à arrêter.
  • Centrales nucléaires : puissance disponible à la demande en plusieurs heures, peut fonctionner à puissance réduite au prix d’une usure hétérogène des barres de combustible, donc à éviter, et peut s’arrêter en quelques minutes avec une puissance thermique résiduelle à évacuer.
  • Centrales hydrauliques au fil de l’eau : produisent selon le débit et la chute, une puissance non ou peu réglable, mais prévisible environ une semaine à l’avance, très saisonnière, sans relation avec le besoin.
  • Centrales marémotrice (Rance) ou hydrolienne (Bréhat) : produisent une énergie parfaitement prévisible, mais très fluctuante, le plus souvent nulle ou négligeable, selon le rythme des marées : semi-diurne, mensuel, annuel, sans relation avec le besoin.
  • Eoliennes : produisent selon le vent une puissance non maîtrisable, pouvant néanmoins être annulée (pales en drapeau), prévisible  1 ou 2 jours à l’avance, saisonnière, nulle quand il n’y a pas de vent (régime anticyclonique), sans relation avec le besoin.
  • Solaire photovoltaïque : produisent selon la position du soleil (heure et saison) et la nébulosité, une puissance non maîtrisable, dont les composantes diurne et saisonnière sont parfaitement prévisibles, mais pas la nébulosité. Elle est nulle la nuit, très faible en hiver, le matin et le soir, et sans relation avec le besoin.
Les 4 dernières filières sont dites « fatales », en ce sens que l’on ne maîtrise pas leur survenance. Toutes ces filières de production doivent être utilisées au mieux par l’opérateur pour :
  • Assurer la continuité de l’approvisionnement, notamment en consommation de pointe,
  • Répondre instantanément aux variations de la demande, à la hausse comme à la baisse
  • Produire l’énergie au meilleur coût.
 Décentralisation de la production ?
A ce stade, on comprend déjà que la décentralisation de l’énergie prônée pour des raisons idéologiques par certains militants est un non sens, car la variabilité de la consommation et l’importance relative des pointes s’aggrave quand le territoire desservi se réduit.
Remarquons ainsi que la puissance moyenne consommée sur l’année est de l’ordre de 0,7 KW par logement, alors que le la puissance maximum prévue par l’abonnement, est le plus souvent entre 3 et 9 KW : la pointe fait environ 10 fois la moyenne. La pointe nationale se limite heureusement à 2 fois la moyenne ! L’addition des consommations et la mutualisation des moyens de production va dans le sens de la réduction des investissements, et donc de leur impact environnemental.

Pointes de consommation
On comprend aussi que la nécessité absolue de faire face à la puissance de pointe impose que celle-ci puisse être produite par des filières non fatales. Une pointe survient toujours en hiver par grand froid, correspondant généralement à un régime anticyclonique d’hiver avec des vents souvent faibles, parfois nuls, loin des grandes marées d’équinoxe, avec un jour court et un soleil bas, souvent avec des nuages. Faites le compte : aucune des énergies fatales ne contribue significativement à la pointe.

Tout nucléaire ?
Bien que le slogan « Non au tout nucléaire » ait existé, il est sans objet au plan économique, car c’est un truisme.
L’énergie nucléaire se caractérise en effet par une énergie très bon marché en coût variable, disponible en continu, mais peu souple, obtenue au prix d’investissements massifs et de longue durée. C’est donc la parfaite énergie de base, qui produit tout le temps et longtemps, parce qu’elle en est capable, mais aussi parce que c’est nécessaire pour compenser ses lourds amortissements.
Il serait absurde de construire, pour passer les pointes, des centrales nucléaires qui ne serviraient que quelques heures ou jours par an : l’amortissement de l’investissement sur des plages courtes amènerait à un coût extravagant. Leur relative rigidité rendrait problématique la réponse aux variations rapides de consommation.
Le parc nucléaire installé français est de 62 Gw. Avec un taux de disponibilité supposé égal à 80%, sa capacité de production est de 50 Gw permanents, soit 438 Twh par an. La production nucléaire 2010 selon l’INSEE est de 429 Twh. On peut considérer que le parc nucléaire français, utilisé près de son maximum comme il se doit, fournit :
  • 75% de l’énergie consommée sur l’année
  • mais seulement 50 % de la consommation de pointe qui atteint 100 Gw.
En d’autres termes, le nucléaire ne représente que la moitié de la capacité de production installée : on est loin du tout nucléaire ! S’il produit plus des trois quarts de l’énergie, c’est parce que l’opérateur le fait fonctionner en priorité en raison du très faible coût marginal de l’énergie produite.

Le prix des MWH
Bien entendu, même si nous avons raisonné « France », les états disposent de moyens de production différents, et ont des courbes de consommation qui ne coïncident pas, pour de multiples raisons, climatiques, liées aux modes de chauffage, aux horaires, etc. Il y a donc de nombreux échanges entre pays, et un marché qui suit les lois de l’offre et la demande.
Il est évident qu’en période de pointe, lorsque les opérateurs sont appelés à mettre en œuvre tous leurs moyens de production, même ceux dont le coût est le plus élevé, le prix de marché ne peut qu’être supérieur au coût le plus élevé. A l’inverse, en période très creuse, lorsque les seules énergies fatales, plus le nucléaire, excèdent la demande, le prix de marché se situera juste au dessus de ces coûts marginaux très bas. Dans ce cas, pour situer les idées, le prix d’échange du MWh entre opérateurs peut descendre à moins de 20 €, alors qu’il monte couramment à plus de 100 € en heures pleines en hiver, et n’a pas de limite lorsque les moyens de production sont tous mobilisés et saturés : 368 € en moyenne le 8 février 2012, dont une heure à… 1 938 €. Rappelons que le prix de facturation d’ERDF au détail est de l’ordre de 120 €M/MWh, ou 70 € à 500 € pour un tarif Tempo, auxquels s'ajoute un abonnement facturé entre 10 à 22€ par KVA et par an, selon les puissance et les tarifs. Un message leur sera prochainement consacré.

Ceci montre que le prix fixe de l’énergie est une fiction : la valeur de l’énergie dépend essentiellement du moment où elle est produite pour être simultanément consommée : Une même énergie produite par une centrale hydraulique mobilisée au moment de la pointe de consommation, vaut beaucoup plus cher qu’une énergie  fatale, bien souvent produite à contre-cycle, donc de peu d’intérêt. Comparer leurs prix de revient moyens du MWh n’a donc aucun sens.

Les écologistes disent avec juste raison que pour éviter les pointes, il faut faire des économies, ces fameux « négawatts ». Le moyen le plus simple pour les réaliser sur les pointes est la dissuasion tarifaire, déjà utilisée (Tarif ERDF Tempo et de nombreux contrats professionnels), mais insuffisamment répandue et pas assez sophistiquée. Elle est d’autant plus légitime que, pour atteindre la production de pointe,  l’opérateur mobilise tous ses moyens de production, y compris les plus coûteux et polluants (charbon, gaz).

La tarification à prix fixe n’est donc qu’une méthode historique simple, aisément compréhensible par la clientèle domestique. La révolution numérique permet d’en réduire les pointes en différant les consommations qui peuvent l’être, et en favorisant des choix  rationnels, du type chauffage « bi-énergie. Nous y reviendrons dans un message ultérieur.

La filière nucléaire fournit la moitié des pointes, et reste capable, malgré sa relative rigidité, de suivre les variations diurnes, à défaut des variations rapides. L’énergie qu’elle produit est donc de très bonne qualité, sans comparaison avec celle des énergies fatales, totalement rigides et souvent à contre-cycle. A prix de revient égal, le nucléaire est largement préférable aux énergies fatales. Or son prix de revient est beaucoup plus bas.

L’analyse économique, basée sur le rapport de la Cour des Comptes, confirme donc que chercher à remplacer le nucléaire par des filières fatales, est une absurdité économique, et n’incite pas du tout à sortir du nucléaire, bien au contraire !

Rapport de la Cour des Comptes sur l'énergie nucléaire

Sitôt le rapport de la Cour des Comptes publié le 1er février 2012, chacune des parties prenantes y trouve matière à renforcer ses thèses.
·        Les uns disent que le coût de l’énergie nucléaire étant plus élevé que prévu, il est urgent d’abandonner cette filière au plus vite.
·        D’autres y voient une confirmation de la compétitivité de cette énergie, et donc la nécessité de développer cette filière sans attendre.

Les sages de la rue Cambon auraient-ils été à ce point ambigus ? Surprenant ! Ceci nous a interpellés, et nous avons procédé à notre propre lecture du rapport de synthèse, que nous vous livrons ci-dessous.





La synthèse du rapport de synthèse
Principaux chiffres (Montants en euros actualisés 2010 )
Abréviations : K= milliers, M= Millions, G=milliards, T=Trillions)
Numérotation des paragraphes : Partie.Page - Titre
Avec nos commentaires en vert.

1      Dépenses de production étalées sur une longue période

Les coûts supportés par AREVA ne sont pas pris en compte, car cette société facture ses produits et prestations à ses clients, les producteurs d’électricité dont EDF, et jamais au client final.
C’est un truisme !

1.7 - Un investissement initial lourd 
Le montant total des investissements réalisés par EDF sur ses 58 réacteurs à eau pressurisée, s’élève à 121 G€. Leur puissance installée totale est de 62,5 Gw.
Investissement : 1,94 M€ par Mw installé

1.8 - Un coût de construction au Mw qui progresse dans le temps
1978 Fessenheim                          1,07 M€/Mw
2000 Chooz 1 et 2                        2,06 M€/Mw
2002 Civaux                                 1,37 M€/Mw
2013 Flamanville                          3,70 M€/Mw
20xx Suite de série EPR               3,10 M€/Mw
Cette hausse des coûts peut s’expliquer en partie par le niveau considérablement croissant de la sûreté requise.
Selon une loi économique quasi universelle, le coût d’un produit (ici le MW€ installé) décroît de 10 à 20%  pour chaque doublement de la quantité cumulée produite. Il faut donc s’interroger :
  • Jusqu’où faut-il augmenter cette sécurité par rapport à un parc de 58 réacteurs qui n’a jamais provoqué d’incident majeur ? L’augmenter indéfiniment équivaudrait à y renoncer sans motif rationnel au profit d’autres solutions qui ont toutes leurs risques, notamment climatique.
  • Comment expliquer le manque de compétitivité des acteurs français qui perdent de nombreux marchés à l’export face à de nouveaux concurrents, en dépit de leurs excellentes références ?
  • Ces acteurs français, publics ou parapublics peu habitués à la concurrence, ont-ils fait autant d’efforts sur les coûts que sur la sûreté, lesquels ne sont nullement incompatibles (automobile, aéronautique…)

Nous n’avons pas d’éléments décisifs de réponse, mais soupçonnons que l’optimum coût – sûreté est loin d’être atteint…

1.8 - Des charges d’exploitation bien cernées
En M€ : total : 8 950 M€ répartis comme suit en haut, qui aboutissent à 22€/Mwh
Leur évolution 2008 à 2010 est en bas.


               



Les augmentations constatées résultent de la maintenance et des impôts et taxes. Celles prévues sont relatives au personnel de la force d’action rapide à créer.
A juste raison, les amortissements, traités séparément, sont exclus. Les frais de personnel dans une industrie « high-tech » qui sous-traite beaucoup semble élevée. Le coût des fonctions centrales, à 10% et en très forte croissance est bien loin des ratios de l’industrie… Ce sont des indices de médiocre compétitivité…

1.9 - Des charges futures incertaines par nature

1.9 - Démantèlement
Elles sont actuellement estimées à 18,4 G€ pour les 58 réacteurs.
C’est 15% de l’investissement initial.

Il faut regarder ce chiffre avec précautions, car le manque d’expérience conduit généralement à sous-estimer les coûts. Les chiffres de l’étranger sont très dispersés, mais sont généralement supérieurs. La Cour fait 2 recommandations :
  • sur l’évaluation par la méthode « Dampierre 2009 »
  • sur un audit de cette méthode par des experts extérieurs


1.10 - Stockage
Coût cumulés actuels EDF :     23G€
Coût futurs pour déchets à longue durée de vie établis par l’ANDRA (agence d’Etat chargée du stockage géologique).
  • Devis 2005 à                                  16,5 G€
  • Revu en 2009 à                             36 MG€

Ce dernier pas accepté par EDF
Les MOX et URE comptabilisés comme relevant du stockage géologique. D’autres solutions pourraient exister dans les réacteurs de 4ème génération. La Cour fait 2 recommandations :
  • sur un devis réaliste de stockage par l’ANDRA conforme aux recommandation de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire),
  • sur l’estimation correcte des coûts géologiques relatifs aux MOX et URE.

C’est 40% de l’investissement initial (moyenne des deux devis).

Ces charges de démantèlement et de stockage, soit 55% de l’investissement initial, sont  en effet futures et incertaines, mais aussi engagées, et donc irréversibles, quelle que soit la politique énergétique future.

1-10 - Des investissements de maintenance qui vont augmenter
Pour maintenir le bon fonctionnement, améliorer la sûreté, et éventuellement augmenter la durée de vie des centrales. EDF les estima en 2010 à :
  • 50 G€ sur la période 2011 à 2025, soit 3,3 G€ par an.

Après prise en compte des enseignements de Fukushima, cette estimation est révisée à :
  • 55 G€ sur la période 2011 à 2025, soit 3,7 G€ par an

C’est 45% de l’investissement initial

1.12 - Un coût du capital très significatif aux estimations diverses selon l’objectif poursuivi
  • Industrie très capitalistique
  • Historique du financement complexe, incertain ou inaccessible
  • Valeur du parc d’occasion impossible à évaluer
  • Ratios boursiers inopérants faute d’opérateurs comparables
  • Approche par flux de trésorerie incertaine comme les tarifs de l’électricité et la durée du parc

Différentes approches ont été effectuées :
  • Coût comptable de la production pour une année donnée, incluant les amortissements, mais pas de la rémunération du capital, et ne corrige ni l’inflation, ni l’évolution technologique.
  • Approche Champsaur : coût de production des 15 prochaines années, incluant l’amortissement de 25% des actifs (75%  ayant déjà été amortis). La rémunération du capital est incluse comme un taux sur la valeur nette des actifs.
  • Coût courant économique (CCE) : Le coût du capital prend ici la forme d’un loyer annuel constant sur toute la durée, supporté par l’opérateur. Elle donne le coût en cas de reconstruction à l’identique.

En économie d’entreprise usuelle :
Les amortissements qui sont des coûts fixes, assurent le renouvellement des investissements, et donc la conservation du capital.
Les bénéfices d’exploitation ne font pas partie des coûts. Ils sont formés par l’écart entre le prix de vente et le prix de revient complet.
Il est surprenant que la Cour ait considéré la rémunération du capital comme un coût ! C’est une vision pessimiste et peu orthodoxe de ceux-ci.

1.13 - Des coûts qui diffèrent selon l’approche de calcul
Les différences résultent de l’évaluation et du financement des investissements
Tous les autres coûts, y compris démantèlement et stockage, sont inclus sur la base de l’année 2010, soit 408 Twh et d’une durée de vie de 40 ans. Ils aboutissent aux résultats suivants :
  • Coût comptable :                        33,4 €/Mwh
  • Coût Champsaur :                       33,1 €/Mwh
  • Coût CCE :                                      49,5 €/Mwh


Des approches différentes sont utilisées par :
L’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE
La Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC)
Qui considèrent le coût de l’énergie produit par un nouvel entrant. Dans le cas de l’EPR, on peut estimer :
  • Tête de série Flamanville : 80 €/MWh
  • Suite de série : 70M €/Wh


1.15 - Des résultats peu sensibles aux charges futures provisionnées
Ces charges étant lointaines, elles sont réduites par l’actualisation effectuée sur la base de 5% par an, soit 2,94% réel + 2% d’inflation de 79 G€ à 36 G€, selon le tableau ci-dessous :
G€
EDF
AREVA
CEA
TOTAL
Charges brutes
62,1
10,5
6,8
79,4
Provisions
28,3
5,6
4,5
38,4
Prov. / Ch. Br.
46%
54%
66%
48%
Le coût du Mwh l’énergie est sensible aux paramètres comme sui :
  • Taux d’actualisation :                 -1% à +0,8%
  •                                                      +1% à -0,6%
  • Devis ANDRA : dernier devis à+1%
  • Démantèlement : hypothèse d’école +50% à+2,5%

La sensibilité du coût du MWh aux opérations de fin de vie est limitée.

1.17 - Impact significatif de l’évolution des investissements de maintenance
Investissement de maintenance
Coût comptable
Champsaur
CCE
Valeur 2010 : 1,747 G€
33,4 €/Mwh
33,1 €/Mwh
49,5 €/Mwh
Valeur réactualisée : 3,7 G€
38,2 €/Mwh
37,9 €/Mwh
54,2 €/Mwh
Variation %
+14,5%
+14,5%
+9,5%

1.18 - Effet de la durée de vie des centrales sur leur rentabilité
Seule l’approche comptable est pertinente, puis que les deux autres n’en tiennent pas compte.
L’effet est très important pour deux raisons :
  • les recettes liées à l’investissement initial s’accroissent
  • les dépenses d fin de vie sont repoussées, et donc réduites par leur actualisation

2      - Des dépenses financées sur crédits publics

Les coûts supportés par l’exploitant doivent être complétés par les coûts supportés par la Collectivité, liés à la recherche et à la sûreté.

2.19 - En 2010, les dépenses récurrentes sur crédits publics sont d’un montant limité, roche de celui de la taxe sur les installations nucléaires de base.
Dépenses : Recherche publique (414 M€) + Sécurité et Sûreté (230 M€) = 414 M€
Taxe sur les installations nucléaires de base : 580 M€.

2.19 - Le développement de l’énergie nucléaire repose sur un fort investissement dans la recherche qui a été financé majoritairement sur crédits publics 
Le coût cumulé de la recherche depuis les années 50 est estimé à 55 G€, soit 1 G€ par an, dont 38 G€ pour la recherche publique, soit 0,69 G€ par an, soit encor 70% du total. Mais les 10 dernières années sont plus proches de 40%.
Les coûts publics de la sécurité et de la sûreté n’ont pu être chiffrés, mais sont probablement en augmentation par la création de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire » et de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire).
On peut estimer que l’augmentation de la taxe de base, multipliée par 4,6 entre 2000 et 2010, ajoutée à la diminution des coûts de recherche publique, amène à ne situation d’équilibre.

2.20 - L’Etat devra financer les provisions du CEA
Les charge futures actualisées du CEA s’élèvent à 2,9 G€  pour le démantèlement et 1,5 G€ pour les déchets et combustibles usés, soit 4,5 G€, dont 3,1  G€ sont couverts par des créances sur l’Etat et des titres d’AREVA. L’Etat devra financer le solde. Le sérieux des estimation ne fait pas disparaître les incertitudes.
Le CEA, établissement public, a-t-il une comptabilité analytique permettant de suivre ses coûts par objet ? Comment imputer les coûts de recherche sur leurs différentes retombées ?

2.20 - Le programme de 4ème génération augmente sensiblement les dépenses futures de recherche sur crédits publics
Le développement de la filière à neutrons rapides au sodium repose sur la création du réacteur de démonstration ASTRID dont lavant projet détaillé est évalué à 650 M€. La suite du développement ne peut être que majoritairement sur crédits publics.
De combien ces chiffres auraient-ils été réduits si le réacteur Superphénix de Creys-Malville n’avait pas été arrêté sur décision purement politique en 1981 ?

2.21 - L’Etat assure une partie du risque « responsabilité civile » en cas d’accident nucléaire.
Le risque nucléaire est très peu probable, mais s’il s’avérait, extrêmement coûteux, bien au delà des plafonds des garanties à la charge de l’exploitant. Au-delà de ces plafonds, l’Etat est l’assureur de fait. La Cour recommande :
  • que la France s’efforce de faire rentrer en vigueur les protocoles signés en 2004 et augmentant sensiblement ces plafonds
  • que le droit français soit appliqué avec rigueur dans l’agrément des garanties financières imposées aux exploitants.


3 - Les questions en suspens

3.23 - L’importance des coûts ne doit pas conduire à négliger les externalités, positives ou négatives, des différentes formes d’énergie.
Le coût, faible, des émissions de CO2 est le seul chiffrable. Il ressort à 90 M€ sur la base de 15€/T, soit 6 MT de CO2, soit encore 15 kg de CO2 /MWh, très bas.
La Cour recommande des études sur les éléments non chiffrables tels que santé, environnement, balance des paiements, économie, pour toutes les formes d’énergie.

3.23 - Le chiffrage des évaluations complémentaires de sûreté réalisées à la suite de l’accident de Fukushima doit être complété et affiné
A la suite de cet accident, l’ASN a publié de 3 janvier 2012 un rapport comportant un avis sur les installations prioritaires d’EDF, d’AREVA et du CEA.

3.24 – La situation d’EDF
Il entraîne deux types de coût :
  • Des investissements, estimés à 10 G€, en vue « d’augmenter la robustesse des installations face à des situations extrêmes », et la mise en place de la « force d’action rapide » évaluée à 300 M€ par ans.
  • Des facteurs sociaux, organisationnels et humains, qui impacterons les effectifs et l’organisation des travaux sous-traités.

3.24 – La situation d’AREVA
La diversité des installations d’AREVA nécessite une adaptation du cahier des charges ASN qui doit déboucher mi-2012 sur les mesures concrètes à prendre en cas de crise. Il y a lieu de constituer un noyau dur  pour chaque plateforme, et de rendre plus robuste le remplissage des piscines. AREVA estime que ces dispositions ne devraient augmenter que de quelques 100 M€ son programme d’investissements de 5 G€ sur 5 ans, mais la Cour n’a pas encore le moyen de valider ces chiffres qui restent à préciser.

3.24 – La situation du CEA
Ses installations sont encore plus diversifiées que celles d’AREVA, et 3 sur 5 des sites évalués sont en cours de démantèlement. L’examen prévu  en 2012 permettra de déterminer les investissements qui auront encore un sens. Le CEA estime les coûts correspondants dans une large fourchette de 50 à 500 M€ étalés sur 3 ou 4 ans.

De manière générale, il est encore trop tôt pour chiffrer les investissements et coûts résultants du retour d’expérience de Fukushima, qui, selon l’ASN, peut prendre un dizaine d’années, la robustesse aux situations extrêmes n’étant qu’une première étape.
La Cour, assez peu au fait de l’industrie et de la maîtrise de la qualité, semble considérer que la sûreté, qui est une forme de qualité, a nécessairement pour contrepartie des coûts. Ce n’est pas nécessairement le cas, beaucoup d’améliorations pouvant résulter d’une meilleure conception des installations et  d’une meilleure culture du personnel. Rappelons que, contrairement à Fukushima qui résulte d’abord d’un tsunami séculaire, l’accident sur un EBR à Three Miles Island, comme la catastrophe du RMBK de Tchernobyl résultent d’abord d’erreurs humaines.

3.25 - La multiplication des dérogations à la loi de 2006 et les conséquences de la crise financière sur la gestion des actifs dédiés devraient conduire à un réexamen des conditions de mise en œuvre de ce mécanisme.
Cette loi sur la transparence et la sûreté nucléaires prévoyait la couverture des provisions (relatives au démantèlement et au stockage) par des actifs dédiés avant juin 2011, reportée à juin 2016. A fin 2010, la provision de 27,8 G€ était couverte par différents titres, notamment d’acteurs de la filière et de filiales, l’Etat restant en charge de 4,6 M€.
La crise financière aggrave l’incertitude sur l’évolution des actifs en couverture.
Les évolutions ont eu lieu sans que la CNEF (Approx : Commission du Financement du démantèlement et de gestion du stockage) ait été crée. Elle est désormais opérationnelle et doit réexaminer le dossier.
Curieuse approche du problème d’EDF, qui ne choque pas la Cour: une provision est une écriture comptable qui vient amputer le résultat pour prendre en compte une charge à venir. Pour financer ces coûts futurs, il semble plus simple de surveiller l’évolution de la liquidité des actifs qu’EDF devra réaliser, ou de sa capacité d’emprunt, sans chercher les couvrir par un actif dédié qui amène sa propre incertitude, bien loin du problème posé, et qui n’a rien à voir avec la production d’énergie. Une bonne gestion de trésorerie ne peut pas être faite par la loi à l’Assemblée Nationale : c’est trop rigide ! Il vaudrait mieux, à la rigueur, imposer des ratios de bilan à EDF, comme aux banques, pas les mêmes bien sûr.

3.26 – La durée de fonctionnement des centrales est une variable stratégique qui devrait faire l’objet d’orientations explicites.
La durée de fonctionnement d’une centrale fait l’objet d’un examen décennal par l’ASN. Seules les centrales du Tricastin et de Fessenheim ont reçu l’autorisation jusqu’à 40 ans, sous réserve de travaux.
Or la comptabilité EDF les amortit en 40 ans. La durée de vie impacte le prix de revient en réduisant l’amortissement annuel, et en reculant les dépense futures.
La Cour constate que fin 2020 22 réacteurs sur 58 auront atteint 40 ans. Le maintien de la production électronucléaire supposerait la construction de 11 EPR, ce qui semble presque impossible pour plusieurs raisons financières et industrielles. Ceci implique soit une prolongation de la duré  de vie des centrales, soit le recours à un mix énergétique différent, sans que ces orientations aient été communiquées.

3.27 – Des investissements importants à prévoir à court/moyen terme avec des conséquences significatives sur le coût de production
Les coûts réévalués des centrales actuelles ont été vus ci-dessus.
Si ces centrales actuelles, après prolongation jusqu’à 50 ans,  étaient remplacées par 11 EPR à 5 G€ l’unité, l’investissement correspondant serait de 55 G€ sur les 20 ans à venir. Ils s’ajoutent aux investissements dans la distribution et, éventuellement, dans la recherche pour les réacteurs de 4ème  génération dont les coûts, pas encore connus, seront plus élevés.
Compte tenu du délai entre la décision et les délais, particulièrement dans le nucléaire mais aussi dans les autres filières et les économies, la non-décision aboutit à faire le choix de prolonger le parc actuel au-delà de 40 ans.

3.28 – Un besoin de maintenir la transparence sur les chiffrages et d’actualiser régulièrement les données du présent rapport
La complexité du sujet, le nombre d’hypothèses et les incertitudes amènent la Cour à recommander de :
  • Revoir et approfondir régulièrement cette analyse
  • Préciser les méthodes d’évaluation d’incertitude, et l’analyse des probabilités d’accident
  • Suivre a posteriori les facteurs de coûts, notamment post Fukushima
  • Capitaliser les efforts faits par les différents acteurs.

Les décisions en matière de production électronucléaire devront être prises en fonction des couts, mais aussi des externalités non chiffrables tels que santé, environnement, balance des paiements, économie, pour toutes les formes d’énergie.
Conclusion très modeste et consensuelle, un tantinet pro domo !
L’ensemble du rapport montre la sagesse légèrement pessimiste qui sied en la matière.
Pour autant, la mise à disposition de chiffres difficilement contestables permet de tirer des conclusions qui font l’objet d’un autre message.

Quelles conclusion opérationnelles à en tirer ?
Voir le message du présent blog à ce sujet.